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seilles et lui arroser un chemin. La terre fumait sous ses pas. À tout instant, on redoutait la chute du toit.

— Sortez donc, les gars ! Allons, les Chauffeurs écauffés, montrez nous vos trognes cuites.

Mais il ne sortit qu’un âne, la queue et les oreilles brûlées, qui découvrait hideusement ses gencives dans un horrible rictus. La pauvre bête fit deux pas, buta, oscilla, tomba, se mit à ruer. Levreux, à l’espagnole, comme d’un coup de machète, le libéra de la vie. Mais de Chauffeurs, nul. Morts de peur ? Roussis ?

Eudes se risqua sous les yeux de Denise. Il enjamba des panses d’ânes gonflées, des mares de sucre fondu. Il dut, des pointes de sa fourche, forcer dans leurs coins les bandits asphyxiés, flageollants, aveugles. Même, trois furent ramenés qui ne donnaient plus signe de vie.

Et de cinq ! six ! sept ! huit ! neuf !

Bourdel les comptait à voix haute, inspectant avidement ces visages inconnus. Denise aussi se penchait, toute son âme dans ses yeux. En était-il, Lui ?

On le tira, onzième et dernier, de dessous une barrique vide et défoncée, où il avait trouvé un abri. Mais dans la cour, d’un bond formidable, il se dégagea et saillit hors du cercle des paysans.

— Le Manchot ! le Manchot ! clama Bourdel.

Denise s’affaissa, brisée par l’angoisse. Sa fille et sa mère la couvraient de baisers et de larmes.

Mais Eudes n’entendait pas que lui échappât sa proie. Visiblement plus leste, il eut vite rattrapé le fugitif et de sa fourche l’abattit.

— Denise, dit avec un peu d’emphase Eudes, dévoilant ainsi devant tous, dans l’heure tragique, sa tendresse cachée, je vous venge ! La bête ne jettera plus de venin.

Tricq, les reins crevés par les dents de la fourche, gisait à terre dans une mare rouge.

— À boire, à boire ! gémit-il.

Denise alla remplir un verre à la seille du puits. Les paysans s’étaient rapprochés et regardaient l’homme secoué de longs spasmes.