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la vaine chanson. Seule l’action politique par la concentration qu’elle exige et sa tension nerveuse, et sa prise sur l’être réel, devait raréfier la veine trop facile qu’elle eut, plus tard, la propriété de presser et de stimuler. Mais en ces jours de haute absurdité juvénile, je peux dire que, ni de veille ni de songe, les notoires poètes contemporains ne cessèrent de bourdonner à mon oreille un petit air de musique persécuteur. Ainsi hanté, sollicité, ne trouvais-je la paix qu’en leur répondant par des variations de mon cru. Non pas pour répéter. Non pas pour pasticher. Moins encore pour parodier, bien que je fusse à tout instant sur le bord du pastiche et de la parodie. Le mot exact serait : pour les continuer peut-être, et faire bêtement comme eux.

Ceux qui jouaient du mot, jonglaient de la syllabe, se pavoisaient d’allitération et de consonances, me soufflaient le plus naturellement du monde une énumération des villes et villages de la banlieue.

Ni Sceaux, ni Fontenay-aux-Roses,
Ni Bagnolet, ni Robinson
Ni les Lilas, hélas, ne sont…


et ceux qui joignaient à ce joli petit fracas la richesse des rimes, l’enchaînement servile des images verbales, une préciosité fantasque et forcée, me susurraient des gentillesses comme ceci :

Ô belle reine du désir,
Fleurs de Golconde, fruits d’Ophir ;
Saphirs ni gemmes éternelles
N’étincelleraient pas si clair
Ni si profond, ni si amer
À la place de vos prunelles :

Ces deux merveilleux soleils noirs
Es cieux moirés, semés d’espoir,
Les cieux de vos œillades, virent
Et vos grands cheveux déployés
Sont l’espace où les cœurs noyés
En soupirant vers vous chavirent.