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elles et des demis versés à son héroïsme fugace, on n’a mis ni ne mettra la patte sur la moindre apparence de brigands, voire sur une trace, foulée, marque ou crotte, empreinte ou ombre vague des Chauffeurs. Évanouis !

Le marchand d’œufs se fit payer pendant des semaines moult gouttes dans les marchés en contant son cas. Et peu à peu ses trousses oublièrent leur frousse. Mais, Denise, elle, n’oubliera pas.

Car dans ses flancs mûrit le fruit de l’hymen abominable ; l’œuvre de mort tentée a fait de la vie, et le bandit un innocent. Une fille naît qui connaîtra les baisers de sa mère plus que ses sourires. Une inguérissable mélancolie affine, creuse et voile le visage de la jeune femme. Sa chair renonce à vingt ans aux nuits heureuses. Elle a repris son existence monotone, près de son père, qui désormais ne voyage plus. Plus jamais la ferme ne reste seule ou confiée aux femmes. La Présence d’un valet augmente la force de la défense éventuelle. Longtemps on a redouté un retour offensif mais la petite Denisette marche sur ses huit ans. Le Manchot a dû désespérer de jamais vider sa querelle.

III

Le gars Eudes, un jeune géant roux, un pur Scandinave, de la taille des ancêtres, encore dans l’avril de l’âge, fit son entrée dans la grand’salle, suivi d’un inconnu. Ce dernier pouvait avoir cinquante ans ; il avait deux petites touffes de favoris en coton blanc, était vêtu comme un maquignon riche.

— Bonjour, maître Bourdel et la compagnie.

— Bonjour, Eudes. Qu’est-ce qu’il y a pour ton service, mon gars ?

— Y a, dit Eudes, fils de l’aubergiste de Saint-Aubin, que c’est demain la Saint-Lionard, que j’avons pus de place pour la moitié d’une bérouette. Monsieur que v’là a entendu la même antienne dans toutes les