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tonne, qui pousse ses derniers taillis le long des anfractuosités des falaises, jusqu’en face de Saint-Léonard. Quand ils eurent dépassé l’if gigantesque du Vieux Port, l’âme ardente de Denise fut saisie d’une admiration religieuse pour les hautes futaies druidiques et les sombres hêtrées.

— Oui, dit l’homme, il y a de belles curiosités dans ces bois : le Chêne-Cuve, l’arbre de la Houssaye. Veux-tu quitter le chemin et couper au plus bref ? Ça nous fera gagner du temps, et tu verras la statue miraculeuse.

— Celle de Saint-Maur ? De grand cœur. Maman y vint en pèlerinage. Mais j’ai hâte d’arriver. Je suis lasse déjà.

Ils entrèrent sous le couvert, et la marche devint tout de suite difficile. Les ronces égratignaient les jupes de leurs pattes griffues. Sur les souches mortes, ils trébuchaient. Les branches basses cédaient pour se détendre et leur donner, de leurs petites paumes vertes, de brusques gifles. Ils firent détaler une harde de cerfs. Enfin, ils arrivèrent à une éclaircie, un rond de fées, où Denise, épuisée, fit : ouf ! et s’assit.

— Bah ! fit l’homme, autant vaut ici que dix toises plus loin. Aussi bien, je reconnais les approches du Chêne-Cuve. Je ne suis plus loin de mon rendez-vous avec « la Brocante » et « le Rouge ».

— De quel rendez-vous voulez-vous parler ? Je ne vois pas ici de statue, Jean.

— Il s’agit bien de statue, ricana bruyamment le fourbesque. À quelle distance te crois-tu ici de la route d’Aizier ?

— Vous me glacez le sang ! Pourquoi me dites-vous ça ?

— Réponds, fit la voix impérieuse. Crois-tu qu’il passe ici un chrétien tous les dix ans ? As-tu là ais et verrous pour te garder de moi ?

— Jean, ces yeux ! cette voix ! Qu’avez-vous ? Vous perdez le sens ?

— Mais pas la mémoire. Et toi, te souviens-tu ?