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et, en fermant les yeux, il commença à reculer. Ce fut à cet instant que, surpris par le bruit, les deux amoureux se retournèrent d’un mouvement soudain, et aperçurent, dans les glaces de l’armoire, ce fantôme titubant et livide.

— Bon. Dieu !… proféra le garçon.

M. Charibot rouvrit les yeux, et s’arrêta.

— Bon Dieu de bon Dieu !… répéta le séducteur.

Mathilde, avec un cri, s’enfouit le visage dans les oreillers. Assis sur le lit, les prunelles écarquillées, ne sachant que faire, le garçon épicier considérait ce vieil homme tragiquement muet. Son silence l’inquiétait. À défaut de coups de poing, que l’aspect de M. Charibot rendait peu vraisemblables, et encore moins périlleux, il eût trouvé normal, et en quelque sorte correct, de recevoir les injures dont il n’eût pas été à court en un cas semblable. Mais cette torpeur glacée, ce regard épouvantablement vide qui se fixait sur lui, cette écrasante immobilité, lui parurent plus redoutables qu’une attaque contre laquelle il eût su se défendre. Il se dit tout à coup que M. Charibot devait tenir un revolver, et allait tirer. Ses yeux glissèrent anxieusement vers les mains du comptable. Il les vit toutes les deux, tombantes, flasques, inoffensives. Alors, ne pouvant plus supporter ce silence incompréhensible, ce fut lui qui le rompit. Il grommela d’abord :

— Ben quoi !… Quand ces choses-là arrivent, on peut tout de même s’expliquer !

Comme aucune réponse ne lui parvenait, il sauta à bas du lit et, hâtivement, se mit à se rhabiller en poursuivant son monologue :

— Vous voulez pas causer, alors ?… Non ?… Bien sûr, c’est votre droit !… Ce que je voulais vous dire, c’est que ce n’était pas pour vous faire injure… comprenez-vous ?… Quoi !… On est fautifs, d’un sens, évidemment !… Mais on est jeunes, tous les deux, pas vrai ?… Alors, n’est-ce pas ?… S’il vous faut des excuses, on vous fait des excuses… On ne peut