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IV


Il ne fallut pas quinze jours à Mathilde Bécherelle pour acquérir le sentiment de sa toute-puissance et comprendre qu’elle était désormais la maîtresse absolue du logis. Elle avait commencé par mettre à la porte la femme de ménage qui, depuis vingt ans, chaque matin, venait faire le lit, balayer, cirer une des deux paires de bottines qui, tour à tour, abritaient les pieds de M. Charibot, et laver la tasse de son déjeuner.

— Pour ce qu’il y a à faire, avait déclaré la jeune femme, je le ferai moi-même. Ce sera une distraction.

Elle en avait une autre : celle de courir les magasins pour s’acheter un trousseau.

— Vous jetterez tout ce que vous aviez en arrivant ici ! avait supplié Charibot. Des souliers au chapeau, de la chemise au manteau, je veux que vous n’ayez rien qui ne vous vienne de moi. Et puis, vous savez, inutile de compter !… J’ai de l’argent, depuis le temps que j’en gagne sans en dépenser !

Elle avait rempli l’armoire à glaces de son linge, de ses vêtements, de ses chaussures, de ses bas de soie et de ses soutiens-gorge ornés de fausse valenciennes.

— Ce n’est pas que j’aie besoin de ces machins-là ! avait-elle observé. Ma gorge se soutient toute seule. Mais ça fait plus habillé.

Et M. Charibot, d’une main tremblante, caressait, après avoir réglé les factures, ces fins linons encore neufs, qui le grisaient comme s’ils eussent, dans leurs plis légers, retenu déjà la tiédeur et le parfum du corps qu’ils enserreraient.

Il n’avait pu, tant sa joie était violente, tant il avait besoin de l’affirmer pour oser y croire, en garder pour lui le secret. À Mme Diamant sa concierge, au traiteur Méchin qui lui faisait maintenant porter ses