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Pareil au matelot jeté par la tempête
Faible et nu sur le roc d’un rivage désert,
L’enfant n’est qu’un fardeau que la nature jette
Et quand il vient au monde il a déjà souffert :
L’avenir devant lui s’ouvrant plein de ténèbres
Entoure son berceau de faiblesse et de pleur
Et ses vagissements ne sont qu’un cri funèbre
Saluant dans la vie une longue douleur.

C’est la langue et le ton de l’Espoir en Dieu. J’aurais voulu que l’on nous traduisît ainsi les désespérantes beautés de la fin du troisième chant : Si possint homines… Hoc se quisque modo… Je m’enivrais de ce pessimisme chrétien. Il était certes clair que le divin Sophocle avait aussi cultivé la même idée du drame de la vie et de la mort, j’osais préférer dans Lucrèce je ne sais quel murmure de l’Homme ennemi de lui-même, consolé à l’autel des temples sereins du savoir. Aucun Ancien ne m’a jamais été plus proche. Avec ce La Fontaine que Mgr Penon avait aussi achevé de me dévoiler, Lucrèce est resté mon compagnon de toutes les heures, c’est le Latin que je redis le plus volontiers. Il contient tout. La poésie ancienne et moderne n’a plus qu’à redire après lui son Quid machiner inveniam que ?

Néanmoins, j’avais abordé dans le texte Othello, Romeo, Macbeth, Richard III, dont la fantasmagorie et la pénétration, le merveilleux tragique, le réalisme sinueux me tournèrent un peu la tête ; le vrai Shakespeare, celui des féeries, n’apparut que plus tard. J’avais lu, en français, les deux Faust avec les ornements rimés de Blaze de Bury. Ozanam m’avait fait découvrir dans le Purgatoire de Dante la qualité d’un charme que j’ai mieux goûté dans ma seconde jeunesse. Hélas ! plus j’approchais de ces terribles maîtres, moins je me sentais disposé à tenter pour mon compte la moindre cadence. Si j’excepte quelques pièces d’aveu intime, purs bégaiements, et un infâme essai de version du chœur d’Antigone ΕΡΩΣ ΑΝΙΚΛΤΕ ΜΑΧΑΝ, où le Parnasse aux deux sommets subit de mon fait le martyre, je n’osais pas rimer, et