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il s’enfuit, et il entendit une voix narquoise, une fraîche voix de femme, qui lui jetait de loin :

Vous êtes mon lion superbe et généreux !…

Alors, instantanément, il se sentit las et accablé. Il douta de lui. Non, il n’était pas fort, il n’était pas beau, il n’était pas audacieux !… S’il avait passé toutes les années de son adolescence et de sa jeunesse sans connaître l’amour, si cette atroce timidité qui le faisait bégayer et trembler devant une femme lui avait interdit jusqu’aux plus misérables aventures, n’était-ce pas une folie que d’en attendre encore, maintenant que la cinquantaine avait ravagé ses traits, éclairci ses cheveux plats, et maculé d’un blanc sale sa barbe autrefois brune ?… Il irait à la mort sans avoir goûté l’ivresse d’un baiser gratuit !… Aux jours caniculaires, où un désir insoutenable travaillait sa chair, il continuerait à aller chercher l’illusion et l’apaisement auprès des prêtresses d’un modeste couvent de la rue Mazarine… Mais quelles angoisses encore quand il y fallait pénétrer !…

La scène, toujours identique, repassait maintenant, comme un film, dans son imagination.

Pendant vingt minutes, se mêlant à la foule, M. Charibot montait et descendait la rue, jetant, à chacun de ses passages devant la maison hospitalière, un furtif regard dans le corridor à peine éclairé. Parfois, il ne pouvait se décider. La résolution nécessaire ne se formait pas en lui. Son cœur battait à coups trop violents. Ses jambes flageolaient. Il devait retourner au logis. Il revenait le lendemain, le surlendemain, et recommençait son manège jusqu’à ce qu’un brusque élan le jetât dans le couloir, comme un oiseau dans la gueule d’un serpent. Une fois là, il ne pouvait plus reculer : il fallait bien aller jusqu’au bout !… Pour n’avoir pas à comparaître devant les quatre dames qui représentaient, pour des coûts moyens, quatre types vaguement diversifiés de la