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âges, de tous les poètes, ils accouraient à lui qui les écoutait chanter. Il se murmurait avec Saint-Sorlin :

Je sens partout les cœurs voler autour de moi…

Un seul… Un seul aurait suffi !… Ah ! de quelle tendresse pieuse et passionnée il saurait l’envelopper, celle qui le devinerait et s’éprendrait de lui !… Comme il la protégerait contre les cruautés de la vie !… Avec quelle fureur de sacrifice il verserait pour elle tout le sang qui coulait en lui, pourpre et fier !… Et si quelque rival osait approcher d’elle, avec quelle force invincible il l’abattrait à ses pieds !… Car il serait jaloux… Il l’était déjà de l’amante imprécise !… Jaloux, oui !… Et les vers de Corneille chuchotaient en lui leur caresse… Jaloux !…

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent ;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent :
Dès qu’il les flatte, j’en murmure.
L’air même que vous respirez
Avec trop de plaisir passe par votre bouche.
Votre habit de trop près vous touche,
Et si tôt que vous soupirez,
Je ne sais quoi qui m’effarouche
Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés !…

L’enthousiasme sacré croissait. Sa canne traçait dans l’ombre des moulinets féroces. Il marchait de plus en plus vite… il chargeait ! Et, tout à coup, à voix haute, il s’écria :

Je suis Jean d’Aragon, rois, bourreaux et valets,
Et si vos échafauds sont petits, changez-les !…

Un éclat de rire le ramena brusquement à la réalité : il se vit, tout près de la porte Dauphine, en pleine lumière, devant un banc qu’occupait un groupe de jeunes gens. Pliant le dos comme sous une averse,