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d’ajouter, en provençal, le conseil que lui avait donné son propre grand-père : « Vès pichouno, fès jamai acô ». (Voyez, petites, ne faites jamais cela.) Mais, ajoutait René, il y a dans Calendal bien autre chose que Volandette ! Une pêche de thons à Cassis ! le départ des barques sous le ciel étoilé ! le chant des mélèzes sur le Ventoux ! Comme le livre n’était pas à sa disposition, je pris mon courage à deux mains et, un beau soir, malgré ma petite taille et ma surdité commençante, j’allai demander Calendal à la célèbre bibliothèque Méjane, orgueil de notre ville d’Aix. On me le donna sans difficulté. Dans la haute salle de lecture éclairée d’un gaz pâle, devant les rayons noyés d’ombre où veillaient en bon ordre les témoignages imprimés ou manuscrits de notre histoire généreuse, je lus, relus, appris par cœur l’Invocation du plus grand poème civique dont s’enorgueillisse la lyre depuis l’Énéide et le Chant séculaire : «Âme de mon pays — toi qui rayonnes manifeste — et dans sa langue et dans son histoire… Âme sans cesse renaissante — âme joyeuse, fière et vive — qui hennis dans le bruit du Rhône et de son vent, — âme des sylves harmonieuses et des golfes pleins de soleil — de la Patrie âme pieuse… ».

Et un peu plus haut :

« Les grandes ondes des siècles, — et leurs tempêtes et leurs orages — ont beau mêler les peuples, effacer les frontières — la terre mère, la nature — nourrit toujours sa progéniture — du même lait, sa dure mamelle toujours — à l’olivier donnera l’huile fine. »

Assurément, le sommet du lyrisme de Mistral n’est pas là, il faut le chercher parmi les Îles d’or et les Olivades, mais en cette année 1882, je n’avais entendu de tels sons que dans Bossuet. Dérivés du même génie apollinien, ceux-ci, grâce à la douce merveille du vers, allaient plus loin, creusaient plus avant dans l’âme, m’emportaient plus haut, plus longtemps. « Âme de mon pays ! » Comment n’ai-je pas fait mes premiers vers dans le vertige et l’éton-