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devenu comparable aux tiraillements de la faim et de la soif.

Un séminariste de nos amis nous procura une copie de la Lettre à Lamartine, du Souvenir et de l’Espoir en Dieu, qu’avait expurgés avec art une main prudente. Où Musset avait dit :

Tel lorsque abandonné d’une infidèle amante

Pour la première fois je sentis la douleur,

Transpercé tout à coup d’une flèche sanglante…


l’habile correcteur écrivait :

Tel lorsqu’abandonné du bonheur infidèle

Pour la première fois je connus la douleur

Transpercé tout à coup d’une flèche cruelle…

Monsieur le supérieur du petit séminaire disait à ses professeurs : « — Ne trouvez-vous pas que c’est plus beau ainsi ? — C’est plus pur », se bornait à répondre l’auteur de la mise en point excellente. Le diable y perdit peu de chose. À la première occasion, je dépensai le fond de ma bourse, quatorze francs, pour l’œuvre complète de mon poète, avec le portrait de Landelle par-dessus le marché.

Nous avions lu Mireille. René me dit : « Et Calendal ? » On lui avait parlé de Calendal à cause des hauts faits d’une dame de sa famille qui y sont relatés. Mlle de Voland était bien la plus jolie fille de Manosque ou de Sisteron. Le roi François Ier, passant par là avec son armée, remarqua ce bel astre et fit connaître son désir de le voir en secret. Volandette ne voulait ni désobéir au roi ni aventurer sa vertu. Elle fit le sacrifice de sa beauté. La nuit qui précéda l’audience, la malheureuse alluma un réchaud de soufre, y précipita son joli visage qui brûla et se boursoufla à plaisir. En terminant la belle histoire édifiante qu’elle contait avec beaucoup de grâce et d’esprit, la grand’mère de René avait coutume de se retourner vers ses quatre petites-filles et