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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Oh ! là… j’étouffe !… je vais succomber tout de suite, faute d’air, comme ces malheureux, dans les sous-marins engloutis !…

Mais non, je n’étouffe pas !… Qu’est-ce que je m’imagine donc : l’asphyxie, pour le moment du moins, est impossible ! Tornada m’a lesté de substances oxydantes ! Est-ce que je respire, depuis trois jours ?… Mais non, je vais vivre encore !… je veux vivre !…

Je veux vivre !… C’est inconcevable : je n’y renonce pas !…


CHAPITRE X

Ce à quoi je renonce, c’est à écrire cette nuit de cercueil. Elle fut abominable ! Non plus, cette fois, parce que mon état de mort me permettait de concevoir la laideur d’autrui, la bassesse des passions ; mais parce que mon cerveau, que je croyais, la veille, ne plus pouvoir fonctionner intégralement, assujetti qu’il était à l’épuisement du 222, se remit en train avec une ardeur, une lucidité que mes plus vaillantes heures de création intellectuelles n’avaient jamais connues.

Lecteur ! mets-toi à ma place… ou plutôt, ne t’y mets jamais : imagine-toi, seulement. Imagine-toi que tu es allongé dans une boîte capitonnée, clouée, soudée ; que tu n’en sortiras plus ; que tu t’y éteindras lentement ; que tu assisteras peut-être, pour peu que la piqûre laisse subsister ton moi conscient plus longtemps que ton organisme, à l’envahissement de ton corps par des horreurs que je ne veux pas décrire… jusqu’à ce que, intégralement dévoré, tu prennes l’aspect hideux de cette ruine qu’est le squelette, lui-même condamné à l’éparpillement du temps.

Imagine-toi cela et tu concevras l’affolement de ma nuit !