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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

bientôt, accompagna le bonne dame, d’une voix d’ophicléide. Le rire d’Homère m’eût secoué.

Sa lecture achevée, Tardurand passa triomphalement à un calcul de probabilités :

— Nous nous présentions l’un contre l’autre au fauteuil Titon et il y mettait une rare animosité. Maintenant tout est oublié. Je tiendrai l’un des cordons du poêle. Chose piquante, ce sera au moment où l’on votera pour moi. J’aurais emporté le morceau quand même, notez bien. Réfléchissez : au premier tour, sur vingt-huit votants, il y avait onze voix pour Montabert ; sept pour Givers et dix pour moi. Au second tour, Givers en perdait deux, qui se portaient l’une sur Montabert, et l’autre sur moi. Au troisième tour, on reste chacun sur ses positions. Au quatrième tour, ah ! ça commence à rappliquer chez votre serviteur. Montabert en garde douze et moi je grimpe à treize. Au cinquième tour…

— Je sais… coupa Tornada. Au vingtième tour, vous en étiez.

— Oh !… avant !… bien avant !… vers le dixième tour !

— Enfin, maintenant, vous vous croyez tranquille ?

— Hélas !

— Et s’il n’était pas mort ?… proféra Tornada.

— Qui ça ?… Titon ?

— Non : celui-là.

— Je n’oserais jurer de Titon, ne l’ayant pas vu sur son lit de mort ; mais celui-là, j’en mettrais la main au feu. Les miracles ne sont plus de notre époque, docteur !

— Hé ! hé !… qui sait !…

— Vous n’arriverez pas à m’inquiéter, cher docteur… sourit Tardurand.

Mais il n’avait plus la même assurance. L’air ironique et mystérieux du professeur l’inquiétait et l’irritait. On n’était sûr de rien, avec ce remueur d’organismes. Le ménage me regarda plus attentivement. La femme fit une prière, mais je ne suis pas sûr