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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Je cherchais : Guy Prinjard, le nom ne me rappelait rien, même pas en littérature. Mais tant de malheureux sont, à notre époque, piqués de la tarentule épistolaire, qu’il faudrait un cerveau d’encyclopédiste pour les y caser tous.

Confiant dans l’ami de sa fille, Jojo se laissa aller :

— Si c’est pas malheureux, monsieur, cette pauvre Sisi — troisième abrévation, je l’ignorais aussi — cette pauvre Sisi, veuve a son âge : que va-t-elle devenir ?… C’est dur, quand on aime le confort et qu’on a l’habitude de ne pas y regarder !… Je l’ai élevée dans la soie ; faudra-t-il maintenant qu’elle se mette à porter du coton et à ne plus pouvoir aider son pauvre père, qui s’est sacrifié pour elle ?… dites, monsieur, si c’est pas à vous dégoûter d’avoir livré une si belle enfant à un particulier comme celui-là ?…

Mais une flamme traversa l’eau de ses paupières :

— Voyons… j’espère bien tout de même que tu t’es arrangée pour qu’il te laisse un peu de pain pour mes vieux jours ?… Sous quel régime étiez-vous mariés ? ».

— Il n’y a pas eu de contrat, papa, tu le sais. Il m’a dit qu’il arrangerait cela plus tard.

— Des promesses,… les a-t-il tenues dans un testament ?

— Je ne crois pas… Nous venons de chercher partout, Guy et moi : nous n’avons rien trouvé.

— Alors, tu hérites ?…

— Du quart : c’est tout ce que la loi m’accorde.

— C’est injuste !… c’est épouvantable !… Que vais-je devenir !…

La catastrophe plana sur le trio. Les cadavres heureusement ne peuvent trahir leur hilarité. La mienne était du reste atténuée par le remords d’avoir confié à mon notaire un testament qui favorisait Lucienne aux dépens de Ninette. Ô ma Ninette, mon trésor, ma pureté ; ô Ninette d’Émeline, c’est pour ce couple odieux que je t’avais dépossédée !… Ah ! comme j’allais tout à l’heure, une fois ressuscité, courir chez