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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

Et comme pour accroître encore mes remords, j’entendis le doux babil de mon enfant, posant ses éternelles questions :

— Fait dodo, papa, dis, Mamoiselle ?

— Oui, ma chérie, il fait dodo, le grand dodo !…

— Pouquoi fait dodo ?

— Parce qu’il est fatigué.

— Va en soirée, mon papa ?

— Non, ma chérie.

— Je te dis que si !… vois sa belle chemise, son beau habit !… c’est pas pour faire dodo, dis, Mamoiselle ?

— Si, mon bébé.

— Va faire longtemps dodo, papa ?

— Toujours, ma chérie.

— Je veux pas !… réveille-le, Mamoiselle !… Je veux jouer avec mon papa !…

— Il ne jouera plus avec toi, ma pauvre petite.

— Plus ?

— Plus jamais.

— Va faire dodo, toujours ?

— Toujours.

— Où qui va faire dodo ?

— Au ciel.

— Avec le petit Jésus ?

— Oui, et les anges…

— Ah !… Pouquoi tu pleures, Mamoiselle ?

Un sanglot venait d’interrompre le questionnaire de l’enfant. Elle resta d’abord interdite. Puis gagnée à cette humble détresse, elle éclata à son tour en larmes.

— Oh non !… oh non !… pas toi, pauvre petite !… Attends pour pleurer, attends de comprendre !… de souffrir !… Mais écoute bien ce que je vais te dire !… Agenouille-toi !…

Ah ! que n’aurais-je donné pour soulever un instant mes paupières et me graver l’adorable tableau de ce petit être fragile, perdu dans sa longue robe de nuit, avec ses nattes soigneusement enrubannées,