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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

maintenu perpendiculairement, prêt à pivoter. Je laisse à penser le spectacle que devait offrir ce cadavre en appareil de paradis perdu, avant la pomme, manié par un homme barbu et deux dames en toilettes estivales !… N’importe, le résultat fut magnifique : en quelques tours de mains, j’étais paré. On me replaça sur mon lit. Tornada accrocha sur ma poitrine ma brochette de décorations. Quelques tractions héroïques amenèrent mes mains sur mon abdomen et on les munit d’un crucifix. Puis on alluma deux flambeaux, un de chaque côté du lit.

— Il nous a esquintés, mais il est splendide !… s’épanouit Tornada. Il est le pompier officiel intégral !… Ah ! les journalistes peuvent venir !… ils en baveront d’admiration !…

— Je ne croyais pas qu’un mort fût si difficile à habiller… observa Mme Godsill, en s’éventant.

— En général, ils se laissent faire, mais celui-là est d’un rétif exceptionnel.

Et Tornada s’enquit encore :

— Voyons : ce n’est pas que je craigne qu’il s’échappe ; mais qui est-ce qui le veillera cette nuit ?

— Je ne laisserai ce soin à personne… déclara résolument Lucienne.

— Voilà une épouse incomparable !… Maintenant, je me sauve. À demain. Je passerai de bonne heure voir comment il va. Il y a des chances pour qu’il n’aille pas plus mal : mais, par ces chaleurs, on fermente vite. Dites-le aux Pompes Funèbres. Dites aussi, que j’ai commandé le cercueil. Une boîte princière. Vous verrez ça : rien de la petite bière !… Allons, je vous quitte sur ce mot de la fin… de la fin de ce pauvre Étienne.

Son départ me fut une délivrance. On a deviné pourquoi mon admiration et mon amitié pour cet homme s’étaient subitement transformées en une violente rancune. Mais je commençais à doubler mon ressentiment d’une inquiétude sur laquelle je m’expliquerai plus tard. Je continue pour l’instant la