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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

repêcher un autre poète, si vous tenez absolument à Pindare !… Des poètes de son espèce, on en ramasse à la pelle !… Allons, calmez-vous, ne vous tordez pas les bras comme ça. Ils sont très beaux, vos bras, vous allez les abîmer et puis vous viendrez me demander une pommade pour guérir vos égratignures ! Il me faudra vous faire une ordonnance : écrire, je déteste ça !… J’aime mieux couper !… Mais voulez-vous bien ne pas vous démener comme ça !… Quelle torpille !…

Et s’adressant à Anna :

— Allez me chercher du vinaigre, de l’eau fraîche, que je lui barbouille la frimousse !

Lucienne avait le culte de son visage. Elle y travaillait chaque fois qu’elle passait devant une glace. Quand il n’y avait pas de glace, elle recourait à un miroir de poche et se tapotait longuement les cheveux devant, se surajoutant de la poudre, s’avivant les lèvres. Souci de beauté bien féminin, que je respectais et encourageais même. Aussi, l’idée que Tornada allait la défriser agit plus puissamment que n’importe quelle remontrance.

Elle revint instantanément au calme et questionna :

— Comment cela lui est-il arrivé, docteur ?

— Comme je vous l’avais fait prévoir à plusieurs reprises, mignonne.

— Vous m’aviez prévenu, en effet, qu’il avait le cœur faible ; mais de là à une fin aussi rapide, aussi terrifiante !… À moi aussi, vous m’avez dit que j’étais fragile de ce côté !… Est-ce que ?…

— Avec vous, mon diagnostic ne portait qu’au point de vue moral. Et encore plaisantais-je, vous sachant tenue à la vertu par l’amour que vous aviez pour ce vieil Étienne… Eh bien, voici comment ça c’est passé : je l’auscultais… oui, j’achevais de l’ausculter, quand, tout à coup il s’est abattu, foudroyé par un ictus.

— Un ictus ?

— C’est un petit caillot de sang, qui fait une em-