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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

ouvrit la porte donnant sur le couloir, s’y immobilisa une seconde, puis s’approcha de moi.

J’entendis alors une voix basse, tremblante d’une émotion quasi religieuse, murmurer :

— Oh ! mon Dieu !… mon Dieu !… est-ce possible !…

L’inconnue fit le tour de mon lit, s’arrêta encore et sa silhouette, placée à contre-jour, dissipa le peu de lumière extérieure que je recevais à travers mes paupières closes. Elle resta ainsi, sans bouger, ne disant plus rien, mais haletante, pendant trois bonnes minutes. J’ai soutenu dans une autre de mes œuvres à succès, les Sylphes, que l’âme émet des fluides, oui, des forces invisibles, comparables à l’électricité, au radium, et je dénouais à la faveur de ce phénomène psycho-physique, une intrigue par ailleurs du reste fort passionnante. Eh bien, j’eus, en cette circonstance, la confirmation de ce que j’avais avancé dans ma littérature, car il me parvenait de cette visiteuse ignorée de véritables effluves mentaux, qui, aussitôt perçus par moi, m’emplissaient pour cette étrangère d’une sympathie irraisonnée. Ce n’était là l’effet, ni de la médiumnité, ni d’aucune de ces prétendues communications entre vivants et morts, qui ne sont que des inventions de cerveaux délabrés et qui, de toute façon, ne pouvaient entrer en jeu avec le faux mort que j’étais. Non : je recevais, probablement par transmission de la pensée, l’hommage d’une âme qui m’était attachée et, si j’y fusse resté insensible en mon état normal, il est vraisemblable que mon état cataleptique, en développant ma sensibilité, me permettait de l’accueillir.

Bientôt ces effluves s’atténuèrent. Le système nerveux de l’inconnue devait se détendre. L’ombre de son corps descendit, s’inclina vers moi, et je perçus sur ma main, qui était placée au bord du lit, une sensation de fraîcheur, la rosée bienfaisante de larmes silencieuses. Puis elle se retira, aussi discrètement qu’elle était entrée.