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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

comba à l’épidémie de grippe qui ravagea le monde concurremment à la grande guerre. Il ne s’écarta même pas de mon foyer lorsque, deux ans après la mort d’Émeline, je contractai avec Lucienne une seconde union qu’il blâmait. Il demeura notre commensal assidu et continua, comme par le passé, à gâter sa filleule.

Je n’avais donc aucune raison, ni par la qualité de mon examinateur, ni par l’étude attentive qu’il venait de faire de moi, de mettre en doute son optimisme

J’insistai cependant :

— Je veux bien te croire, Tornada. Je suis convaincu que si tu m’avais trouvé quelque tare organique, ton amitié te commanderait de m’en faire part tout d’abord et de m’en débarrasser ensuite. D’autant qu’on a toujours certaines affaires à régler pour l’avenir des siens.

— C’est vrai, fit-il, soudainement intéressé. Mais tu as déjà fait ton testament ?

— J’aurai peut-être des modifications à y apporter.

— Eh bien, tu as le temps d’y songer.

— Soit. Mais enfin, tout de même, je sens ce que je sens, que diable !… Voyons : quand j’ai des douleurs, là, au cœur, tu ne me diras pas…

— Traite-les par le mépris, tes douleurs.

— Et des tiraillements d’estomac ?…

— Fiche-leur un verre de cognac, à tes tiraillements,

— Et ces sortes d’éclairs qui me traversent le foie ?…

— Ton foie ?… ah ! ah !… ton foie !…

Il éclata d’un large rire, qui éparpilla plus encore sa barbe olympienne. Je craignis une de ces reparties saugrenues qui me faisaient bondir. Je me verrai du reste obligé au cours de ces mémoires, pour la fidélité du récit, de rapporter trop souvent un langage que réprouve ma plume taillée pour l’Académie. Je laisse