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LE SUCRIER EMPIRE

par un truc en fer forgé auquel personne ne peut donner un nom. On l’appelle : le machin. On dirait un morceau de la cage de l’ascenseur… monsieur voit d’ici…

« M. Poussenot et madame ne se parlent quasi plus. Monsieur ne rentre plus déjeuner. La salle à manger est complètement désorientée. Il n’y a plus que deux fauteuils dont le dossier est cassé et un chaudron que je mets deux heures à astiquer. J’ai trouvé sur le bureau de madame une liste que j’ai copiée :

« Armoire normande. — Buffet merisier 2 m. 10 de haut. — 6 fauteuils. — Panetière. — 2 petits bahuts 165 x 110. — Chambre à coucher Directoire.

(À voir rue de la Boétie.)

« Hier soir, la cuisinière a entendu ce bout de conversation dans la chambre. Monsieur disait :

— « Mais alors, nom de Dieu ! Que va-t-on faire des meubles de ma famille ?

— « On achètera une maison de campagne ; ils ne sont bons qu’à ça !

« Alors, monsieur est parti en criant un mot que je n’oserais pas répéter à monsieur. Et puis madame s’est remise à clouer des tableaux.

« Expression de mes sentiments.
« Antoinette. »




J’ai rencontré Gaston Poussenot. Est-ce l’effet des vieux meubles ? Il a vieilli de dix ans. On sent que, vers quarante-cinq ans, âge où l’habitude devient exigeante, tout lui a soudain manqué : son fauteuil, la vaisselle dans laquelle il mangeait depuis si longtemps… En outre, j’ai remarqué qu’il boitait ; un des fauteuils normands vermoulus a dû s’effondrer sous ses fesses… Dans l’ensemble, il a maigri. On sent qu’il est à la merci