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LE SUCRIER EMPIRE

la suite de son beau-père, il est devenu G. Poussenot et Cie, une bretelle, la bretelle Poussenot, qui ne déforme pas les pantalons. Je suis resté célibataire et, vivant paisiblement de rentes modestes, j’exerce le délicieux métier de flâneur où il n’y a pas de morte-saison.

Il a fallu Dinard pour que nous nous rencontrions, cette espèce de plage pour cartes postales, où la mer s’avance timidement, comme si elle avait peur de faire concurrence aux Casinos. Notre première entrevue a été d’une familiarité sans doute excessive : j’ouvrais en caleçon la porte de ma chambre pour prendre mes chaussures quand, en face de moi, de l’autre côté du tapis, il fit dans la même tenue le même geste, exactement le même, comme dans ce numéro de la Glace Brisée que nous présentent les music-halls.

— Poussenot ! Toi ici !

— Vitrin ! Quelle veine !

Et nous avons échangé quelques mots, sans bouger du cadre de nos portes respectives, comme deux portraits familiers, au grand effroi d’une Anglaise qui a dû croire que nous répétions un vaudeville. À l’apéritif, il m’a présenté à sa femme.

— Edmond Vitrin, un ami de vingt ans, un inséparable du lycée. Il était vingt-troisième et moi vingt-quatrième, chaque semaine. À la fin, le professeur ne lisait plus nos noms, il disait : « Vingt-troisième et vingt-quatrième, les mêmes !… » Jeanne, ma femme !

J’ai horreur des présentations au café, parce que je fais généralement tomber un verre, en m’inclinant ou en offrant ma place. Ça n’a pas raté ! Mon vermouth, d’ailleurs réservé à l’exportation, a fait une très jolie petite cascade sur la terrasse.

— C’est l’émotion ? m’a demandé Mme Poussenot en riant.