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(les demoiselles Pengali, filles de notre consul à Zéa, la chantèrent en grec pour M. de Chateaubriand) :

Ah ! vous dirai-je, maman,
Ce qui cause mon tourment…

Tels ont été mes premiers pas dans les jardins et dans les vergers de Martigues, grâce à l’humeur génieuse et gaie que me montrait mon père. De condition modeste et de profession sédentaire, il formait un type accompli du petit fonctionnaire très appliqué à des devoirs que l’amour du bien public ennoblit, mais non moins passionné pour les livres, les arts et tous les autres jeux et délassements de l’esprit. Il avait couru la France, visité Londres, revu souvent Paris, rapporté les idées générales qui stimulaient encore son désir de se cultiver. J’ai été surpris de vérifier dans ce qui me reste de sa correspondance à quel point lui étaient présents son Racine, son La Fontaine, son Voltaire ! Le sens du plaisir et le goût d’apprendre se rencontraient en lui au point de se confondre. « J’étudie toujours », disait-il. Si je dois à ma mère ce que j’ai de sérieux et de volonté, je tiens de lui le goût de voir et de savoir, et, en général, ce qui se rapporte au sentir. La passion des petits vers me vient aussi de lui. Il en rimait à l’occasion pour fêtes, anniversaires ou mariages. J’ai retrouvé six strophes délicates et tendres composées pour ma mère au moment de leurs fiançailles. Il avait cinquante-trois ans.

Sa vivacité naturelle, unie à la passion de la vie de société, recouvrait certain fond grave, même triste, du caractère et lui imprimait ce tour aimable, enjoué, que l’on voyait seul. Il n’était pas né dans notre petite ville. Avant même qu’il s’y mariât, le pays lui avait plu par l’accent généreux de vitalité souriante que, jadis, les Provençaux de la Renaissance ont beaucoup remarqué dans ce curieux centre de jeux et de travaux, de musique et de poésie,