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Le revenu foncier aurait ainsi considérablement augmenté en France, quoique dans des proportions moindres qu’en Angleterre et en Belgique ; cette inégalité du taux de l’accroissement entre les trois pays tient, sans doute, à beaucoup de causes, mais l’une est que la population a moins augmenté en France que dans les deux contrées voisines.

Les faits que nous venons de citer semblent confirmer entièrement les doctrines de Ricardo et de Stuart Mill. Il faudrait examiner, cependant, si cette hausse si grande de la rente de la terre depuis 1800 ou 1830, dans ces riches pays, ne vient pas totalement, ou du moins pour la plus grande partie, de ce que des capitaux beaucoup plus importants, ont été incorporés au sol, et si la plus-value de la rente de la terre dépasse notablement l’intérêt et l’amortissement de ces nouveaux capitaux. Les économistes de l’école anglaise négligent cette analyse qu’ils regardent comme de peu d’importance ; et ils attribuent toute ou presque toute cette hausse du revenu foncier aux lois qu’ils ont découvertes et qui font du propriétaire foncier une sorte de décimateur prélevant sans travail un préciput sur le développement de la richesse sociale.

La théorie de Ricardo a été combattue, avons-nous dit, par quelques adversaires aux États-Unis et en France ; parmi ces dissidents de l’école économique contemporaine, les trois principaux jusqu’ici sont Carey, Bastiat et M. Hippolyte Passy.

Bastiat est celui qui, au point de vue purement doctrinal, a fait le plus de résistance aux idées de Ricardo et de ses successeurs. Qu’on lise les Harmonies économiques, on verra que le fond de ce bel ouvrage, l’une des plus grandes œuvres philosophiques de ce siècle, est la réfutation de la théorie anglaise de la rente de la terre. D’après Bastiat, toute valeur vient uniquement du travail. Les dons de la nature sont essentiellement gratuits et profitent à tout le monde. Jamais, dit-il, un homme ne consentira à payer quelque chose à un autre pour la jouissance des facultés productives du sol. Le fermage ne représente que l’intérêt des sommes consacrées aux défrichements, aux clôtures, aux constructions, aux amendements, aux irrigations, aux