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derne, ce n’est pas elle uniquement qui s’oppose à la propriété collective, c’est aussile progrès des cultures. Autrefois la culture était très-simple une céréale, le seigle, un pâturage commun et des bois ; qu’on se reporte aux paroles de Tacite, citées plus haut, sur les anciens Germains : « nec enim cum ubertate et amplitudine soli labore contendunt, ut pomaria conserant et prata separent et hortos rigent ; sola terrœ seges imperatur. » Aujourd’hui la culture est bien autrement compliquée à côté des céréales et du pâturage commun viennent les fourrages artificiels, les plantes industrielles, le lin, la betterave, le colza, bien d’autres encore, puis les vignes, les arbres fruitiers, le jardinage, les potagers, l’élève soigneuse du bétail et des chevaux, la laiterie, la basse-cour. Parlant en Écosse de la crise agricole et de la concurrence américaine dans l’automne de 1879 M. Gladstone recommandait aux agriculteurs de son pays tous les menus produits de l’agriculture, et il allait jusqu’à leur dire : « Faites des roses, l’Amérique ne luttera pas contre vos roses. » Croit-on que toutes ces productions s’accommodent de la propriété collective ? Est-ce que la betterave, est-ce que la vigne, ces cultures si rémunératrices, se seraient aussi rapidement propagées, si chaque propriétaire n’avait pas été libre, à ses propres risques, de les substituer au blé ? S’il avait fallu une réglementation pour autoriser des changements de culture ou de procédés ; si le Conseil municipal devait intervenir toutes les fois qu’on voudrait mettre en herbe ce qui est en labour, planter en vigne ce qui est en garrigue ; ou bien si l’occupant actuel n’avait pas devant lui une longue perspective de possession qui l’assurât de profiter de tout le produit de ses efforts, si au bout de cinq ou six ans qu’il aurait établi sa vigne ou son verger et « couché en herbe » sa terre labourable, son lot devait être de nouveau tiré au sort et pouvait échoir à son voisin, pense-t-on que les progrès agricoles eussent été ce qu’on les a vus depuis cinquante ans ? Pendant trente ou quarante siècles, dit M. de Laveleye, la propriété du sol a été collective ; admettons-le, mais quels progrès la culture a-t-elle faits pendant ces trente ou quarante siècles ? Depuis trois ou quatre siècles, au contraire, la pro-