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poètes. M. Le Play, devançant sur ce point M. de Laveleye, a fait aussi dans un de ses ouvrages le tableau du bonheur de l’habitant de la grande steppe de l’Asie centrale. Il est impossible de considérer ces brillants hors-d’œuvre comme autre chose que des épisodes poétiques destinés à charmer l’imagination du lecteur, à le reposer au milieu d’une lecture aride. Des intermèdes ne sont pas des arguments.

Puisque, même de nos jours, chez des écrivains qui ne sont, à proprement parler ni révolutionnaires, ni complètement socialistes, la propriété privée trouve des adversaires, tout au moins des critiques, nous devons rechercher quelles sont les origines et les justifications de ce fait que l’on prétend récent, et qui est maintenant à peu près universel. Est-il si récent, d’ailleurs, que l’affirme M. de Laveleye ? De plus érudits que nous dans la science historique pourraient élever à ce sujet non seulement des doutes, mais des objections sérieuses. C’est ainsi qu’au moment même où nous écrivons ces lignes, un homme dont personne ne niera et la science et le don d’interpréter, de reconstituer l’histoire, M. Fustel de Coulanges, dans des lectures à l’Académie des Sciences Morales et Politiques a rectifié, ou plutôt réfuté les assertions de M. de Laveleye relativement à Sparte. Le savant et sagace historien a démontré que les Spartiates avaient mis en pratique la propriété privée et que leurs fameux repas communs étaient tout autre chose que ne le croit le vulgaire c’étaient des sortes de réunions assez

    hiérarchies politiques, judiciaires, administratives, ecclésiastiques, qui s’élèvent au-dessus de lui ; il n’est pas son maître, il est pris dans l’engrenage social, qui en dispose comme d’une chose. Il est saisi et embrigadé par l’État ; il tremble devant son curé, devant le garde-champêtre ; partout des autorités qui lui commandent et auxquelles il doit obéir, attendu qu’elles disposent, pour l’y contraindre, de toutes les forces de la nation. Les sociétés modernes possèdent une puissance collective incomparablement plus grande que celle des sociétés primitives ; mais dans celles-ci, quand elles avaient échappé à la conquête, l’individu était doué d’une vigueur très-supérieure. Qu’il y ait quelque parcelle de vérité dans ces dernières réflexions, nous ne le contesterons pas, quoique l’état de terreur du paysan appartienne plutôt au passé qu’au présent. Le paysan français s’est déjà fort affranchi de cette servitude morale et de cette dépendance intellectuelle. Pour ce qui est du bonheur de l’ancien Germain, un simple fait suffit pour le contester : ce sont ces invasions des barbares, ces émigrations de tribus entières qui prouvent que l’ancien Germain mourait de faim.