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il lui soit donné de pêcher en tout temps ; il ne peut même reposer sa tête, faute d’autre demeure, dans des cavernes, car il risque d’être appréhendé et mis en geôle comme vagabond. Voilà le premier fait, le grand fait social qui prête à tant de contestations.

Comment se fait-il que l’on n’aperçoive pas le second fait, le phénomène, de date plus récente peut-être, mais appelé à se développer dans de vastes proportions ? Cet autre phénomène, c’est la reconstitution d’un patrimoine commun, d’une richesse sociale dont l’humanité a la jouissance collective presque inconsciente. Il s’accumule chaque année des centaines de millions qui viennent grossir un capital dont aucun homme en particulier n’est le propriétaire, mais dont tous sont les usufruitiers. Ce capital, quel est-il, où le trouve-t-on ? C’est le domaine public et le domaine privé de l’État, des départements, des communes ; ce sont toutes les institutions d’assistance, toutes les dotations pour les services publics ; ce sont toutes les œuvres, grandes ou petites, entreprises au moyen d’impôts, de taxes, de contributions, d’emprunts publics et dont le capital a été amorti, qui par conséquent sont retombées dans le domaine commun. On ne doit pas croire que cette nouvelle richesse collective qui se forme soit une bagatelle, qu’elle n’ait presque pas d’importance. C’est par milliards qu’elle peut s’évaluer, presque par dizaines de milliards dans un vieux pays et l’on peut prévoir le jour, dans un siècle ou deux, où elle égalera presque en valeur la richesse privée, appropriée, divisée entre les hommes.

Le domaine public de l’État, des départements et des communes est immense et s’accroît sans cesse. Plus la civilisation d’un pays est ancienne et progressive, plus on y ajoute. Chaque année des capitaux considérables, prélevés sur le revenu des impôts soit généraux, soit locaux, ou recueillis par la voie d’emprunts amortissables, sont employés à élargir cette richesse collective. Nous avons évalué ailleurs[1] à plus de

  1. Voir notre Traité de la science des finances (2e édition, t. I, pages 27 et suivantes).