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a seulement demandé de retrancher quelques-unes des superfluités dont il eût été tenté de faire usage, et de prélever sur l’accroissement de son salaire une petite part pour se prémunir contre les mauvais jours. Voilà comment, tout en vivant mieux que les générations précédentes, 3, 300, 000 déposants soit dix à douze millions de personnes, en comptant les enfants et les femmes, ont ensemble à la Caisse un crédit qui dépasse un milliard de francs. Qu’on y joigne ceux qui possèdent un peu de terre et quelques valeurs mobilières sans avoir de livret, et on trouvera que l’énorme majorité de la nation a quelque bien. Quand la Caisse d’Épargne ne serait parvenue qu’a écarter les misères suprêmes, les dénuements extrêmes » ne serait-ce déjà pas un bienfait ?

Proudhon s’étonnait de ce que, de son temps, sur 400, 000 ouvriers et domestiques que renfermait Paris, 124, 000 seulement furent inscrits aux caisses d’épargne ; le reste absent. « Quel usage ceux-ci font-ils donc de leur salaire ? » s’écriait-il. La proportion aujourd’hui des déposants à l’ensemble de la population ouvrière est infiniment plus forte, et le nombre de ceux qui possèdent quelque petit avoir, pouvant tout au moins les préserver d’une absolue détresse, ne forme plus l’exception dans la nation. Ce qui est exceptionnel, c’est le manque absolu d’économies, de petites fortunes, de ressources accumulées. Quant à l’usage que les ouvriers, domestiques, ou employés non épargnant font de leurs salaires, pour un certain nombre d’entre eux sans doute il est absorbé jusqu’à la dernière obole par les nécessités pressantes de la vie et par les charges de famille, mais pour la plupart il se gaspille en dépenses superflues, nuisibles au corps, à l’esprit et à l’âme. Si Proudhon avait lu un livre curieux, écrit par un ancien ouvrier, à moitié socialiste, le Sublime[1], il n’eût pas posé une question

  1. Question sociale. Le Sublime ou le Travailleur comme il est en 1870 et ce peut être, par D. P. Ce livre singulier décrit dans un langage très-pittoresque les mœurs d’une certaine catégorie d’ouvriers parisiens. Il a servi de matière première et de dictionnaire M. Émile Zola pour son célèbre roman intitulé l’Assommoir. L’auteur du Sublime est devenu, en 1879, maire d’un des arrondissements de Paris.