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que l’ancienne tricoteuse, ils doivent travailler deux mille fois moins dans la journée, ce qui réduirait leur tâche à moins d’une demi-minute par jour ? Celui qui ferait une proposition de ce genre serait avec raison considéré comme extravagant. C’est que ces étonnants progrès ne se sont accomplis que dans quelques industries ; c’est en outre qu’ils sont en réalité moindres qu’en apparence. Le verbiage de certains économistes, les descriptions superficielles et exagérées où ils se complaisent, prenant des faits exceptionnels pour des faits généraux, leur ridicule optimisme, ont singulièrement embrouillé les questions.

Tout fier que l’homme ait le droit d’être des surprenantes découvertes qu’il a faites, il faut bien dire que son action sur la nature ou sur la matière a été, quand on cherche à la mesurer avec précision, infiniment moindre qu’on n’aime à le dire. Il y a sur ce point une part de cette illusion que La Fontaine a si bien décrite dans la fable des Bâtons flottants. Quelques observations vont nous en convaincre.

Il y a aujourd’hui 40,000 machines à vapeur en France, représentant 1,500,000 chevaux de force, lesquels fournissent un travail équivalant à celui de 30 millions d’hommes. Comme la population française, qui compte 36 millions d’habitants n’en comprend guère que 10 millions qui soient dans toute leur capacité productive (déduction faite des enfants, des vieillards et de la plupart des femmes), on pourrait conclure de ce rapprochement que la puissance productive des Français ayant été quadruplée, il serait assez raisonnable que chacun d’eux travaillât quatre fois moins qu’auparavant, soit trois heures par jour ; ou bien encore, en supposant que la consommation de chaque Français doublât, six heures par jour. Voilà le langage que pourrait tenir quelqu’un de ces statisticiens étourdis comme il en existe tant : la puissance productive de l’homme a été quadruplée, supposons qu’il veuille consommer deux fois plus, il lui est cependant loisible de travailler deux fois moins, sinon, nous sommes en plein sisyphisme, en proie à une vexatoire répartition des richesses. Et ce prétendu théorème, le