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tion de l’ouvrier. Il faudrait tout un livre ou un amoncellement d’exemples pour trancher une question aussi complexe elle ne comporte, d’ailleurs, pas de réponse s’appliquant à tous les cas. Contentons-nous en ce moment de quelques observations.

La croyance de la plupart des économistes, nous pourrions dire le préjugé de la plupart des économistes, car, si ce n’est la science, du moins les savants ont souvent des préjugés, c’est que les grèves sont défavorables en principe à l’ouvrier, qu’elles empirent sa situation, qu’elles ne lui valent aucun avantage qu’il n’eût obtenu sans elles, qu’elles ne lui procurent que des triomphes passagers, chèrement achetés. Un économiste d’un certain renom, miss Harriet Martineau, a particulièrement soutenu cette doctrine ; elle a même donné à un de ses livres ce titre très-explicite : tendance des grèves à abaisser le taux des salaires.

Cette opinion ne manque pas de raisons ou d’arguments. Les ouvriers gaspillent en frais de grève des sommes dont ils eussent pu faire un bien meilleur usage. Il leur eût été loisible avec ces épargnes de constituer des sociétés coopératives, soit de crédit, soit de consommation, soit même de production. Tout au moins, eussent-ils pu avec elles étendre et développer les attributions des Sociétés de secours mutuels de façon à y comprendre les pensions de retraite. Les grèves aussi, peut-on dire, désorganisent parfois toute une industrie, font perdre la clientèle, déplacent les courants commerciaux, en même temps que les capitaux : on attribue, par exemple, à des coalitions ouvrières la ruine des chantiers de construction maritime à Londres. Parfois aussi c’est à elles qu’est due l’invention de nouvelles machines qui, tout en étant pour l’humanité un bien définitif, portent momentanément le désarroi et le trouble parmi les ouvriers et châtient cruellement les grévistes.

Toutes ces observations sont vraies, mais non pas d’une vérité universelle et absolue : ce sont les inconvénients réels, les suites inévitables de beaucoup de grèves, non pas de toutes. On se tromperait en croyant que, considérée en soi, en bloc, la