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tain outillage, d’un abri, du chauffage, de l’éclairage, etc. ; tous ces éléments divers ont contribué à faire la botte en plus du travail du cordonnier. En outre, en attendant que sa paire de bottes fût achevée et surtout qu’elle fût vendue, le cordonnier serait mort de faim, si une personne n’était intervenue pour lui faire des avances, pour lui fournir pendant son travail des aliments et le nécessaire. L’ouvrier cordonnier n’est donc qu’un des facteurs partiels de ce produit composite qui s’appelle une paire de bottes. Il n’est pas étonnant qu’avec le prix qu’il reçoit pour sa collaboration à ce produit d’une foule de travailleurs différents, disséminés souvent dans diverses contrées et sur divers continents, il ne puisse racheter le produit total. Mais il peut parfaitement racheter son propre produit à lui ; c’est-à-dire qu’avec le salaire qu’il a reçu pour la façon d’une paire de bottes, il peut acheter la façon d’une autre paire de bottes identique, à la condition, toutefois, de placer l’ouvrier exactement dans la situation où il se trouvait lui-même, c’est-à-dire de lui fournir un atelier, un abri, des outils, des avances en argent ou en aliments pour lui permettre de vivre jusqu’à ce que le travail soit achevé. Il y a une véritable niaiserie ou un effronté mensonge à prétendre qu’un ouvrier ne peut pas racheter ce qui est réellement son produit.

Écartons cette puérile objection, et examinons le fond même, l’essence du contrat de salaire.

Un entrepreneur, un capitaliste (les deux conditions ne sont pas toujours confondues), un homme ayant, pour un travail ou des services antérieurs, une créance sur la société, créance qui lui permet de disposer de certaines provisions et de rétribuer une certaine quantité de travail, a l’idée de fonder une industrie. Il s’imagine, à tort ou à raison, que l’humanité ou que du moins la société avoisinante est trop peu pourvue de certains objets, qu’il lui rendra service en lui en fournissant une quantité nouvelle et que ces services seront appréciés par un écoulement rapide de ses produits à un prix rémunérateur. Ayant fait ce calcul, soit d’instinct, soit avec réflexion, notre homme veut construire une manufacture ; ses bras seuls ne lui suffi-