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celle des chanteuses et des chanteurs. Elle laisse encore dans un grand pays de beaux profits aux comédiens. Pour l’année 1879, les principaux sociétaires de la Comédie française, ayant droit à une part et demie dans les répartitions de cette compagnie, ont reçu chacun 54,000 francs, non compris un traitement fixe, des feux, etc., qui portaient le total de leurs émoluments de théâtre à plus de 60,000 francs. En y joignant ce que ces artistes ont pu gagner par des représentations de ville ou par des leçons, on arrive aisément a 70,000 ou 80,000 fr. On est loin, il est vrai, des 3, 4 ou 500,000 francs qu’une chanteuse de premier ordre peut recueillir.

Il est cependant des cas, mais exceptionnels et passagers, où une comédienne peut atteindre à la situation d’une chanteuse. L’année 1880 en a vu un exemple dans la personne d’une sociétaire échappée de la Comédie française, mademoiselle Sarah Bernhardt. Engagée en Amérique moyennant un traitement fixe de 2,500 francs, dit-on, par représentation, plus le tiers de la recette jusqu’à 15,000 francs et la moitié au-dessus de ce chiffre, plus encore les frais de voyage et 3.000 francs par mois pour la défrayer de ses dépenses, la célèbre comédienne aura pu réaliser en une année des gains aussi énormes que mademoiselle Patti ou que mademoiselle Nilson. Mais, tandis que celles-ci peuvent chaque année recueillir ce trésor, la comédienne n’en aura bénéficié qu’une fois. Il n’est pas dans la nature des choses que des hommes aillent indéfiniment se réunir pour entendre jouer une comédie en une langue qu’ils ne comprennent pas ils s’y rendent une fois ou deux, par curiosité ou par mode, et n’y reviennent plus. Il est au ; contraire naturel, il est surtout conforme aux habitudes mondaines de tous les pays que l’on se rende dix ou vingt fois chaque année dans un théâtre pour y entendre chanter des paroles que l’on ne saisit pas.

Les danseurs et les danseuses ont, avec les chanteuses et les chanteurs, l’avantage d’avoir pour clientèle toutes les nations. Les pieds, les poses, les grâces n’ont qu’un langage qui est le même en tout pays ; l’agilité, le charme ne diffèrent pas à Paris, à Pétersbourg, à New-York, à Philadelphie, à Londres ;