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Partout où l’entreprise n’offre ni grandeur, ni aléa, la société anonyme est mal à sa place. On s’est mis, dans ces derniers temps, à constituer par centaines des sociétés anonymes minuscules, au capital de quelques dizaines ou de quelques centaines de mille francs, pour l’exercice de petites industries depuis longtemps connues, pour l’exploitation de marbreries, de carrières à chaux, d’ateliers de tonnellerie, même pour des confiseries ou des cabarets élégants ; c’est un abus ou une erreur qui a abouti presque toujours à l’insuccès. Dans la plupart des cas, d’ailleurs, ces émissions d’actions n’étaient que des actes de friponnerie.

Si l’on pèse impartialement les avantages et les inconvénients des sociétés anonymes, on doit conclure que, au point de vue de la production, elles ont joué un rôle singulièrement bienfaisant en rendant possibles les très grandes œuvres devant lesquelles eût reculé l’initiative particulière, et dont les États ne se seraient chargés pour leur compte qu’après beaucoup de tâtonnements et avec une probable augmentation des dépenses.

Au point de vue de la distribution des richesses, les sociétés anonymes, avec les lacunes de la législation actuelle et l’ignorance présente du public, ont servi sans doute à l’enrichissement démesuré de quelques habiles et à l’appauvrissement de beaucoup de naïfs mais c’est là un effet vraisemblablement transitoire.

Au point de vue de l’organisation industrielle et commerciale les sociétés anonymes ont encore aidé et elles aideront de plus en plus à la concentration du commerce et des capitaux, à l’élimination et au remplacement des maisons individuelles, sans pouvoir, cependant, expulser complètement ces dernières, l’œil du maître conservant toujours pour les petites entreprises de très grands avantages.

Enfin, les sociétés anonymes ont créé de nouveaux cadres bureaucratiques où vient chercher refuge la plus grande partie de la classe moyenne ; elles ont ainsi contribué à l’organisation de plus en plus bureaucratique de la société moderne.