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travail et du talent fait passer ces estimables savants pour des rêveurs. Oui, il y a, nous ne craignons pas de le dire, dans les choses de ce monde, un autre appoint : le bonheur, ce que les Allemands appellent encore la conjonctur ; vous ne pouvez le supprimer des affaires humaines ; c’est l’élément incontrôlable, extérieur, qui joue un rôle dans toutes les entreprises. Le bonheur, c’est le sel de la terre. Sans doute « le hasard », n’est pas le maître des entreprises industrielles et commerciales. Ce serait folie que le prétendre ; mais il n’y est pas non plus complètement étranger ; sa part devient moindre avec, les progrès de la civilisation, mais elle reste encore notable.

Le succès des entreprises est donc dû à ces quatre éléments divers et dont la part, d’ailleurs, est très variable : le capital, l’intelligence, la persévérance, le bonheur. Ce sont ces quatre conditions qui règlent les profits individuels, et cependant, nous l’avons dit, si variables que soient ces profits, on ne peut contester qu’ils n’obéissent, pris en masse, à certaines grandes influences sociales et économiques et qu’ils ne suivent une direction déterminée. Quelles sont ces influences ? quelle est cette direction ?

Le profit de l’entrepreneur représente quatre éléments : en partie le salaire du travail de direction, en partie la prime d’assurance contre le risque, en partie le bénéfice de la sagacité et de l’intelligente administration, en partie enfin le don gracieux fourni par le hasard ; ce profit doit être affecté par la civilisation dans la mesure combinée où ces quatre éléments le sont eux-mêmes.

Le travail du marchand ou de l’industriel est plus estimé, plus considéré dans la société moderne qu’il ne l’était autrefois les professions industrielles et commerciales attirent chaque jour à elles de plus en plus la classe aisée, à mesure que la médiocrité des fortunes rend plus difficile la complète oisiveté, à mesure aussi que l’instabilité des fonctions politiques et la réduction des gros traitements enlèvent au service de l’État une partie de l’attrait dont il jouissait. Ainsi le propre de la civilisation moderne est de rendre de plus en plus vive la concur-