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égayée sur toutes ces ruses qui sont variées à l’infini. Les peines sont en outre toujours disproportionnées avec les gains de l’usure. La peine qui paraîtrait la plus logique, ce serait la nullité juridique du contrat stipulant un taux d’intérêt supérieur au taux légal ; mais elle ferait profiter de la fraude l’emprunteur qui a été participant à cette fraude. Pour ne pas choquer ainsi la morale, on a adopté dans quelques pays, en Autriche par exemple, une disposition qui annule l’intérêt consenti au-dessus du taux légal et maintient ce dernier. Où est alors le châtiment ? De quelque façon qu’on s’y prenne, la loi sur le maximum de l’intérêt est impraticable.

Est-il bien nécessaire d’aborder la question d’utilité ? Oui sans doute ; car les gouvernements s’obstinent et s’évertuent souvent à maintenir des prescriptions inapplicables dans la plupart des cas, parce qu’ils supposent qu’elles seraient utiles si elles pouvaient, être appliquées. En faveur de l’utilité du maximum on ne peut invoquer que deux arguments : c’est que ce maximum empêchera les prodigues de se ruiner et les hommes à projets de trouver trop facilement des prêteurs. Quel avantage l’État croit-il avoir à protéger les prodigues ? Quel bien en résulte pour lui ? La ruine des prodigues est le juste châtiment de leur faute, elle est aussi un exemple instructif. Elle fait en outre passer leur fortune dans des mains plus capables. Malheureusement les fortunes des prodigues sont dissipées en général avec scandale et entretiennent le vice. Néanmoins l’État n’a pas à intervenir pour conserver la richesse dans les mains d’hommes qui, ayant reçu du labeur de leurs ancêtres d’abondants capitaux, ont l’indignité de les gaspiller. Les prodigues sont toujours des oisifs héréditaires, dépourvus en général de tout goût noble et élevé, ne considérant la fortune que comme l’instrument d’égoïstes jouissances en vérité quelle utilité trouve l’État à faire intervenir la loi pour conserver cette classe d’opulents et vicieux désœuvrés ?

Quant aux hommes à projets, ils sont très utiles, et il est bon qu’ils puissent emprunter, fût-ce à des taux très élevés. Depuis Christophe Colomb jusqu’à Stephenson en passant par Fulton,