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trats c’est le dernier débris d’un vaste système. C’est une mesure analogue à la réglementation des loyers, qui fut si fréquente autrefois, et dont nous avons relaté plusieurs exemples à Paris au dix-septième siècle ; ou bien encore à la réglementation des salaires qui était jadis une pratique constante, ou enfin à la réglementation des prix, soit aux lois révolutionnaires sur le maximum, soit aux taxes officielles de la viande et du pain.

La loi sur le maximum de l’intérêt soulève trois questions distinctes l’une relative à l’équité, une seconde à la praticabilité, la troisième a l’utilité d’une semblable mesure.

La question d’équité est aisée à trancher. Il est clair que la fixation d’un maximum à l’intérêt de l’argent est inique. L’État prend parti pour l’un des contractants contre l’autre ; de quel droit ? Sous le prétexte que l’un est plus faible, qu’en sait-il ? Ou plutôt, l’État prend parti non seulement contre l’un des deux contractants, mais contre les deux réunis. L’un des éléments du taux de l’intérêt, c’est le risque, et non pas seulement le risque général qui provient de l’insuffisance de la police et des lenteurs ou des erreurs des tribunaux ; ce risque-là va toujours en diminuant au fur et à mesure que la civilisation se perfectionne ; mais ce qui reste essentiellement variable, c’est le risque particulier, propre à chaque prêt ; ce risque tient à la personne de l’emprunteur et à l’usage qu’il se propose de faire de la somme empruntée. Il est des cas où un intérêt de 50, de 60 p. 100 n’est pas trop élevé, parce que l’emprunteur présente peu de surface, ou bien parce que, tout honnête et intelligent qu’il soit, l’entreprise dans laquelle il se lance est très hardie, susceptible de donner ou de très gros gains ou de très grosses pertes. L’État voudrait-il transformer cette opération toute économique et financière du prêt en une œuvre sentimentale, charitable ou religieuse ? Qu’il le dise ; qu’il se charge alors d’être ce prêteur stoïque ou négligent, affectueux ou indifférent, qui ne tient aucun compte des conditions où le prêt se présente et qui dans tous les cas demande un intérêt uniforme et modique. Ou plutôt que l’État ne se charge pas de