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des millions au public pour les prêter aux associations ouvrières.

Le seul système d’intervention de l’État dans le prêt des capitaux qui ait été appliqué en beaucoup de pays et le soit encore dans quelques-uns, c’est celui qui consiste à fixer une limite maxima à l’intérêt. Cette limite est déterminée pour sauvegarder contre son ignorance, contre ses entraînements, contre la pression même des circonstances, l’emprunteur qui est supposé le plus faible des deux contractants. C’est une des manies du législateur et un des préjugés les plus répandus dans le public que de vouloir que de deux contractants l’un soit nécessairement plus faible que l’autre : on admettra, en général, que l’ouvrier est plus faible que le patron, le vendeur que l’acheteur, le locataire que le propriétaire, l’emprunteur que le prêteur. On ne veut pas concevoir que dans les échanges les deux parties traitent à égalité, chacune en possession de son bon sens, de sa liberté, de son indépendance, et que le contrat est ainsi l’expression réfléchie de deux volontés libres. L’un des contractants est réputé nécessairement inférieur à l’autre et paraît destiné, si la loi n’intervient, à devenir la victime de l’autre ce contractant inférieur est celui qui passe à priori pour avoir le plus pressant besoin de la chose qui fait l’objet du contrat. On ne vendrait pas si l’on n’était forcé de vendre, on ne prendrait pas à bail un logement si l’on n’était menacé de coucher à la belle étoile, on ne chercherait pas du travail si l’on avait de quoi manger, on n’emprunterait pas si l’on n’était dans la détresse. Ce point de vue est singulièrement faux et le devient chaque jour davantage. Il n’est pas rare que le vendeur soit plus avisé et fasse une meilleure affaire que l’acheteur. Il arrive que le locataire est plus indépendant, a plus de choix que le propriétaire. Il n’est pas sans exemple que l’ouvrier traite de haut le patron. Quotidiennement l’emprunteur se rit du prêteur et le gruge. C’est l’éternelle histoire de la comédie humaine.

La limite maxima, établie par la loi à l’intérêt du capital, est un reste de l’intervention générale du législateur dans les con-