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les recherches de M. de Malarce, ces déposants pour toutes les contrées civilisées sont au nombre de dix millions. Nos pères, alors que les placements mobiliers étaient peu répandus et que la classe moyenne consacrait ses économies à l’achat de terres, se contentaient d’un intérêt de 2 1/2 à 3 p. 100. Chacun sera obligé de faire ainsi à l’avenir, et c’est une résignation que la nécessité rendra facile. Si, d’ailleurs, le goût de l’épargne s’accroît par l’éducation, on a en outre, comme le faisait déjà remarquer Jean-Baptiste Say, « perfectionné l’art d’épargner comme l’art de produire[1]. » Cette réflexion est bien plus juste encore aujourd’hui qu’au moment où écrivait le célèbre économiste : la multiplication des caisses d’épargne, les caisses d’épargne postales, les caisses d’épargne scolaires, les caisses de retraite, les assurances sur la vie, les petites coupures de valeurs mobilières, les obligations à lots, les achats ou les paiements d’immeubles par annuités, ce sont là des modes infiniment variés et fort améliorés de l’épargne. Il était utile qu’ils coïncidassent avec la réduction considérable du taux de l’intérêt qui, dans une certaine mesure, doit ralentir le mouvement de l’épargne. N’oublions pas qu’autrefois des classes entières, les paysans par exemple, thésaurisaient, c’est-à-dire épargnaient sans jouir de l’intérêt de leurs économies. Ainsi le revenu de 2 1/2 ou 3 p. 100 qui peut paraître décourageant pour l’homme riche habitué à une rémunération supérieure est encore suffisamment attrayant pour la masse de la nation.

De toutes les circonstances que nous venons d’analyser il résulte que la baisse du taux de l’intérêt, coïncidant avec la hausse des salaires, rend plus facile à tous l’acquisition d’une certaine et très modeste aisance, mais beaucoup plus difficile l’acquisition de la richesse. Cette proposition a été parfois contestée, par Jean-Baptiste Say entre autres : dans un passage de son Traité d’économie politique, Say paraît admettre dans une phrase incidente que « l’accumulation des capitaux tend à augmenter l’inégalité des fortunes. » Il est évident qu’il y a

  1. Traité d’économie politique, t. I, p. 135.