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duits se chiffrent par des centaines de mille francs. Les délégués anglais font remarquer que les propriétaires de ces immenses exploitations sont moins des agriculteurs, à proprement parler, que des capitalistes qui emploient à la culture du sol les procédés de la grande industrie. Voici la description qu’on nous en fait « Ce sont des banquiers et des négociants de New-York qui ne considèrent l’agriculture que comme une spéculation fructueuse et qui, grâce tant au bas prix de la main-d’œuvre qu’à l’emploi en grand de la mécanique agricole, réussissent à tirer de leurs capitaux des bénéfices annuels de 30 à 40 p. 100. Mais ils ne résident pas dans le pays, ils n’y ont aucune attache, et c’est par l’intermédiaire d’intendants salariés que s’accomplit toute la besogne. Dans « ce système, le laboureur n’est qu’un bras et ne peut être autre chose. Les wheat farms (fermes à blé) ne renferment que les bâtisses strictement nécessaires pour abriter les moissonneurs pendant quelques semaines la ferme Grandin, par exemple, avec ses 2,200 hectares cultivés, a cinq dortoirs, « mais ils ne servent que transitoirement, car les 250 laboureurs qu’elle emploie sont congédiés dès que les semailles ou la moisson sont terminées[1]. » M. Ronna, dans son livre sur le Blé aux États-Unis, cite d’autres exemples de ces propriétés colossales : ainsi la ferme de Casselton (Dakotah) qui occupe 30,000 hectares, appartient à la compagnie du chemin de fer Pacifique-Nord et est exploitée à mi-fruit par M. Dalrymple.

Ces grandes exploitations ressemblent aux anciennes plantations des colonies ; sauf que le personnel y est vagabond et intermittent, comme celui de ces curieuses bandes de travailleurs agricoles qui sont connues en Angleterre sous le nom d’agricultural gangs et qui comprennent des escouades errantes d’hommes, de femmes et d’enfants. Ce tableau est bien peu séduisant ; la perspective que la propriété et l’exploitation de la

  1. Le mouvement économique aux États-Unis, article paru dans l’Économiste français du 17 janvier 1880.