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Les progrès de l’industrie et de l’agriculture, l’accumulation des capitaux, le perfectionnement des voies de communication doivent-ils avoir pour résultat final une concentration dans un plus petit nombre de mains ou, au contraire, une dissémination dans un plus grand nombre, de la propriété foncière ? Quels sont les effets, à ce point de vue, des lois économiques opérant en toute liberté ? Les publicistes et les législateurs ont été tour à tour ou simultanément en proie à deux cauchemars celui de l’accaparement de la terre dans des propriétés géantes, et celui de l’émiettement en des propriétés infinitésimales, presque incultivables. Les latifundia et la pulvérisation du sol, voilà les deux écueils vers lequel marche la société actuelle ? n’évitera-t-elle ni Scylla, ni Charybde ? ou l’intervention de la loi est-elle nécessaire pour lui servir de gouvernail et la maintenir dans le juste milieu ?

On doit admettre comme un idéal, si ce n’est comme un axiome de justice, que la terre, primitivement domaine commun de l’humanité, étant partagée et tombée sous le régime de la propriété privée pour l’accroissement de la production, il est bon que le plus grand nombre possible d’hommes aient une part du sol. Comment arriver à ce but ou s’en approcher ?

Toutefois il ne faut pas oublier que la raison principale, la justification de la propriété privée, c’est l’accroissement de la production des denrées agricoles. Il faut donc concilier deux intérêts divers l’intérêt économique qui réclame la plus grande production possible, l’intérêt moral qui demande que le plus grand nombre possible d’êtres humains soient propriétaires. Si ces deux intérêts sont inconciliables, c’est le premier qui doit prévaloir.

On a cité trois modes pour rendre la généralité des humains copartageants de la terre. Le premier de ces modes a été examiné dans un précédent chapitre et il n’est, somme toute, qu’une équivoque ; il consiste à donner à la Communauté le domaine éminent du sol, la propriété, et à en assurer la jouissance temporaire pendant des périodes de vingt, trente, cinquante, quatre-vingt-dix-neuf ans même, à des fermiers de