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reste le privilège de situation. Celui-ci aussi perd chaque jour de sa force, au moins pour la propriété rurale ; nous parlerons plus loin de la propriété urbaine. Dans les contrées neuves que l’on met en culture le fermage n’existe pas ; d’autre part, comme il n’y a pas d’infériorité de fécondité naturelle de ces sols nouveaux relativement aux sols anciens, la rente de la terre dans le vieux monde ne peut dépasser le montant des frais de transport pour amener sur nos marchés les produits des sociétés naissantes. Notons que c’est là un maximum qui ne peut guère être atteint par des raisons que nous indiquerons dans un instant. Or, quels sont les frais de transport du fond du Minnesota au Havre ou à Marseille ? on l’a vu déjà 50 ou 60 francs par tonne, au maximum 80 francs par tonne, soit 4 a 5 francs par hectolitre de blé, ce qui représente, pour la moyenne des terres en France, lesquelles produisent 14 hectolitres par hectare, un maximum moyen de 56 à 70 francs par hectare pour la rente de la terre. Mais c’est là un maximum qui doit être très éloigné d’être atteint. Les territoires neufs permettent la culture errante et sans engrais, régime qui réduit considérablement les frais et que ne supporteraient pas des terres défrichées depuis plusieurs milliers d’années. On peut dire que dans bien des cas cet avantage des terres vierges ou presque vierges compense la plus grande partie du coût de transport. M. Émile de Laveleye admet que les polders, ces conquêtes récentes de l’agriculteur belge sur les flots, peuvent se passer d’engrais pendant quarante ans au contraire les terres de Flandre doivent la plus grande partie de leur fertilité à des amendements constants, à des composts incessants. C’est au loin, non seulement dans les montagnes de l’Estramadure, mais encore aux extrémités du monde, au Pérou, en Bolivie, aux Indes, que l’agriculteur du nord de l’Europe va demander des phosphates, du guano, des tourteaux fertilisants et ce n’est pas des sommes insignifiantes qu’il dépense ainsi. En 1872, d’après M. Émile de Laveleye[1], la quantité d’engrais importée

  1. L’Agriculture belge. Introduction, p. xxx.