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de tout travail ou de toute dépense du propriétaire, de tout amendement du sol. Si l’on considérait minutieusement la hausse des fermages, si l’on pouvait dresser une note complète de l’ensemble des capitaux qui ont été incorporés au sol par toute la classe des propriétaires fonciers depuis un quart de siècle ou un demi-siècle, il est fort douteux que la hausse de l’ensemble des fermages du pays représentât plus que la moyenne de l’intérêt, au taux habituel, civil ou commercial, de toutes ces dépenses. Cette hausse des fermages se distribue, sans doute, fort inégalement entre les différents propriétaires de sorte que certains d’entre eux, ayant fait beaucoup de dépenses, n’en retirent aucun bénéfice, et certains autres, au contraire, obtiennent un bénéfice considérable pour de faibles dépenses, ou même simplement comme résultat de circonstances extérieures auxquelles ils n’ont en rien contribué. La classe des propriétaires prise dans son ensemble et pendant une longue série d’années, trois quarts de siècle ou un siècle, n’est donc pas plus favorisée du sort que la classe des commerçants ou la classe des industriels ou celle des simples ouvriers.

Ricardo était placé dans la situation la plus favorable à sa théorie dans un pays où la culture était simple, adonnée presque uniquement à deux produits, les céréales et l’élevage du bétail, dans un pays où la population croissait rapidement et où l’importation des denrées alimentaires étrangères était interdite. Que dans de semblables circonstances le prix des produits agricoles eût une tendance à toujours hausser, cela devait être. Mais Ricardo n’a pas pris garde que ces circonstances, bien loin d’être naturelles et permanentes, étaient artificielles et passagères. Un jour peut-être, quand le monde entier aura une population dont la densité, sur tous les points du globe habitable, approchera de celle de l’Europe occidentale, quand il ne restera plus une acre de bonne terre vacante et inexploitée, quand l’art agricole aura absolument épuisé toute sa force progressive et qu’il sera devenu complètement stationnaire, la théorie de Ricardo pourra devenir absolument vraie.

Ces perspectives sont singulièrement éloignées : les deux Amé-