Page:Leroux - Le fantôme de l'Opéra, édition 1926.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE MYSTÈRE DES TRAPPES

chaque côté de la cheminée les petits coffrets à l’apparence si inoffensive… enfin, cette étagère garnie de coquillages, de pelotes rouges pour les épingles, de bateaux en nacre et d’un énorme œuf d’autruche… le tout éclairé discrètement par une lampe à abat-jour posée sur un guéridon… tout ce mobilier qui était d’une laideur ménagère touchante, si paisible, si raisonnable au fond des caves de l’Opéra, déconcertait l’imagination plus que toutes les fantasmagories passées.

Et l’ombre de l’homme au masque, dans ce petit cadre vieillot, précis et propret, n’en apparaissait que plus formidable. Elle se courba jusqu’à l’oreille du Persan et lui dit à voix basse :

« Ça va mieux, daroga ?… Tu regardes mon mobilier ?… C’est tout ce qui me reste de ma pauvre misérable mère… »

Il lui dit encore des choses qu’il ne se rappelait plus ; mais — et cela lui paraissait bien singulier — le Persan avait le souvenir précis que, pendant cette vision surannée de la chambre Louis-Philippe, seul Erik parlait. Christine Daaé ne disait pas un mot ; elle se déplaçait sans bruit et comme une sœur de charité qui aurait fait vœu de silence… Elle apportait dans une tasse un cordial… ou du thé fumant… L’homme au masque la lui prenait des mains et la tendait au Persan.

Quant à M. de Chagny, il dormait…

Erik dit en versant un peu de rhum dans la tasse du daroga et en lui montrant le vicomte étendu :

« Il est revenu à lui bien avant que nous puissions savoir si vous seriez encore vivant un jour, daroga. Il va très bien… Il dort… Il ne faut pas le réveiller… »

Un instant, Erik quitta la chambre et le Persan, se soulevant sur son coude, regarda autour de lui… Il aperçut, assise au coin de la cheminée, la silhouette blanche de Christine Daaé. Il lui adressa la parole… il l’appela… mais il était encore très faible et il retomba sur l’oreiller… Christine vint à lui, lui posa la main sur le front, puis s’éloigna… Et le Persan se rappela qu’alors, en s’en allant, elle n’eut pas un regard pour M. de Chagny qui, à côté, il est vrai, bien tranquillement dormait… et elle retourna s’asseoir dans son fauteuil, au coin de la cheminée, silencieuse comme une sœur de charité qui a fait vœu de silence…

Erik revint avec de petits flacons qu’il déposa sur la cheminée. Et tout bas encore, pour ne pas éveiller M. de Chagny, il dit au Persan, après s’être assis à son chevet et lui avoir tâté le pouls :

« Maintenant, vous êtes sauvés tous les deux. Et je vais tantôt vous reconduire sur le dessus de la terre, pour faire plaisir à ma femme. »

Sur quoi il se leva, sans autre explication, et disparut encore.

Le Persan regardait maintenant le profil tranquille de Christine Daaé sous la lampe. Elle lisait dans un tout petit livre à tranche dorée comme on en voit aux livres religieux. L’Imitation a de ces éditions-là. Et le Persan avait encore dans l’oreille le ton naturel avec lequel l’autre avait dit : Pour faire plaisir à ma femme…

Tout doucement, le daroga appela encore, mais Christine devait lire très loin, car elle n’entendit pas…

Erik revint… fit boire au daroga une potion, après lui avoir recommandé de ne plus adresser une parole à « sa femme » ni à personne, parce que cela pouvait être très dangereux pour la santé de tout le monde.

À partir de ce moment, le Persan se souvient encore de l’ombre noire d’Erik et de la silhouette blanche de Christine qui glissaient toujours en silence à travers la chambre, se penchaient au-dessus de M. de Chagny. Le Persan était encore très faible et le moindre bruit, la porte de l’armoire à glace qui s’ouvrait en grinçant, par exemple, lui faisait mal à la tête… et puis il s’endormit comme M. de Chagny.


Cette fois, il ne devait plus se réveiller que chez lui, soigné par son fidèle Darius, qui lui apprit qu’on l’avait, la nuit précédente, trouvé contre la porte de son appartement, où il avait dû être transporté par un inconnu, lequel avait eu soin de sonner avant de s’éloigner.

Aussitôt que le daroga eut recouvré ses forces et sa responsabilité, il envoya demander des nouvelles du vicomte au domicile du comte Philippe.

Il lui fut répondu que le jeune homme n’avait