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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

Cela, c’était l’invention démoniaque… Oh ! je savais très bien aussi comment Erik l’obtenait ! Il remplissait de petites pierres une boîte très étroite et très longue, coupée par intervalles de vannes de bois et de métal. Les petites pierres, en tombant, rencontraient ces vannes et ricochaient de l’une à l’autre, et il s’ensuivait des sons saccadés qui rappelaient à s’y tromper le grésillement d’une pluie d’orage.

… Aussi, il fallait voir comme nous tirions la langue, M. de Chagny et moi, en nous traînant vers la rive clapotante… nos yeux et nos oreilles étaient pleins d’eau, mais notre langue restait sèche comme de la corne !…

Arrivé à la glace, M. de Chagny la lécha… et moi aussi… je léchai la glace…

Elle était ardente !…

Alors nous roulâmes par terre, avec un râle désespéré. M. de Chagny approcha de sa tempe le dernier pistolet qui était resté chargé et moi je regardai, à mes pieds, le lacet du Pendjab.

Je savais pourquoi, dans ce troisième décor, était revenu l’arbre de fer !…

L’arbre de fer m’attendait !…

Mais comme je regardais le lacet du Pendjab, je vis une chose qui me fit tressaillir si violemment que M. de Chagny en fut arrêté dans son mouvement de suicide. Déjà, il murmurait : « Adieu, Christine !… »

Je lui avais pris le bras. Et puis je lui pris le pistolet… et puis je me traînai à genoux jusqu’à ce que j’avais vu.

Je venais de découvrir auprès du lacet du Pendjab, dans la rainure du parquet, un clou à tête noire dont je n’ignorais pas l’usage…

Enfin ! je l’avais trouvé le ressort !… le ressort qui allait faire jouer la porte !… qui allait nous donner la liberté !… qui allait nous livrer Erik.

Je tâtai le clou… Je montrai à M. de Chagny une figure rayonnante !… Le clou à tête noire cédait sous ma pression…

Et alors…

… Et alors ce ne fut point une porte qui s’ouvrit dans le mur, mais une trappe qui se déclencha dans le plancher.

Aussitôt, de ce trou noir, de l’air frais nous arriva. Nous nous penchâmes sur ce carré d’ombre comme sur une source limpide. Le menton dans l’ombre fraîche, nous la buvions.

Et nous nous courbions de plus en plus au-dessus de la trappe. Que pouvait-il bien y avoir dans ce trou, dans cette cave qui venait d’ouvrir mystérieusement sa porte dans le plancher ?…

Il y avait peut-être, là-dedans, de l’eau ?…

De l’eau pour boire…

J’allongeai le bras dans les ténèbres et je rencontrai une pierre, et puis une autre… un escalier… un noir escalier qui descendait à la cave.

Le vicomte était déjà prêt à se jeter dans le trou !…

Là-dedans, même si on ne trouvait point d’eau, on pourrait échapper à l’étreinte rayonnante de ces abominables miroirs.

Mais j’arrêtai le vicomte, car je craignais un nouveau tour du monstre et, ma lanterne sourde allumée, je descendis le premier…

L’escalier plongeait dans les ténèbres les plus profondes et tournait sur lui-même. Ah ! l’adorable fraîcheur de l’escalier et des ténèbres !…

Cette fraîcheur devait moins venir du système de ventilation établi nécessairement par Erik que de la fraîcheur même de la terre qui devait être toute saturée d’eau au niveau où nous nous trouvions… Et puis, le lac ne devait pas être loin !…

Nous fûmes bientôt au bas de l’escalier… Nos yeux commençaient à se faire à l’ombre, à distinguer autour de nous, des formes… des formes rondes… sur lesquelles je dirigeai le jet lumineux de ma lanterne…

Des tonneaux !….

Nous étions dans la cave d’Erik !

C’est là qu’il devait enfermer son vin et peut-être son eau potable…

Je savais qu’Erik était très amateur de bons crus… Ah ! il y avait là de quoi boire !…

M. de Chagny caressait les formes rondes et répétait inlassablement :

« Des tonneaux ! des tonneaux !… Que de tonneaux !… »

En fait, il y en avait une certaine quantité alignée fort symétriquement sur deux files entre lesquelles nous nous trouvions…

C’étaient des petits tonneaux et j’imaginai qu’Erik les avait choisis de cette taille pour la facilité du transport dans la maison du Lac !…