Page:Leroux - Le fantôme de l'Opéra, édition 1926.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE MYSTÈRE DES TRAPPES

est la voix d’Erik ?… Écoute, Christine, ma chérie !… Écoute… Elle est derrière la porte de la chambre des supplices !… Écoute-moi !… C’est moi qui suis dans la chambre des supplices !… Et qu’est-ce que je dis ? Je dis : « Malheur à ceux qui ont le bonheur d’avoir un nez, un vrai nez à eux et qui viennent se promener dans la chambre des supplices !… Ah ! ah ! ah ! »

Maudite voix du formidable ventriloque ! Elle était partout, partout !… Elle passait par la petite fenêtre invisible… à travers les murs… elle courait autour de nous… entre nous… Erik était là !… Il nous parlait !… Nous fîmes un geste comme pour nous jeter sur lui mais, déjà, plus rapide, plus insaisissable que la voix sonore de l’écho, la voix d’Erik avait rebondi derrière le mur !…

Bientôt, nous ne pûmes plus rien entendre du tout, car voici ce qui se passa :

La voix de Christine :

« Erik ! Erik !… Vous me fatiguez avec votre voix… Taisez-vous, Erik !… Ne trouvez-vous pas qu’il fait chaud ici ?…

— Oh ! oui ! répond la voix d’Erik, la chaleur devient insupportable !… »

Et encore la voix râlante d’angoisse de Christine :

« Qu’est-ce que c’est que ça !… Le mur est tout chaud !… Le mur est brûlant !…

— Je vais vous dire, Christine, ma chérie, c’est à cause de « la forêt d’à côté !… »

— Eh bien… que voulez-vous dire !… la forêt ?…

Vous n’avez donc pas vu que c’était une forêt du Congo ? »

Et le rire du monstre s’éleva si terrible que nous ne distinguions plus les clameurs suppliantes de Christine !… Le vicomte de Chagny criait et frappait contre les murs comme un fou… Je ne pouvais plus le retenir… Mais on n’entendait que le rire du monstre… et le monstre lui-même ne dut entendre que son rire… Et puis il y eut le bruit d’une rapide lutte, d’un corps qui tombe sur le plancher et que l’on traîne… et l’éclat d’une porte fermée à toute volée… et puis, plus rien, plus rien autour de nous que le silence embrasé de midi… au cœur d’une forêt d’Afrique !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XII

« tonneaux, tonneaux, avez-vous des tonneaux à vendre ? ? ? »


(Suite du récit du Persan.)


J’ai dit que cette chambre dans laquelle nous nous trouvions, M. le vicomte de Chagny et moi, était régulièrement hexagonale et garnie entièrement de glaces. On a vu depuis, notamment, dans certaines expositions, de ces sortes de chambres absolument disposées ainsi et appelées : « maison des mirages » ou « palais des illusions ». Mais l’invention en revient entièrement à Erik, qui construisit, sous mes yeux, la première salle de ce genre lors des heures roses de Mazenderan. Il suffisait de disposer dans les coins quelque motif décoratif, comme une colonne, par exemple, pour avoir instantanément un palais aux mille colonnes, car, par l’effet des glaces, la salle réelle s’augmentait de six salles hexagonales dont chacune se multipliait à l’infini. Jadis, pour amuser « la petite sultane », il avait ainsi disposé un décor qui devenait le « temple innombrable »; mais la petite sultane se fatigua vite d’une aussi enfantine illusion, et alors Erik transforma son invention en chambre des supplices. Au lieu du motif architectural posé dans les coins, il mit au premier tableau un arbre de fer. Pourquoi, cet arbre, qui imitait parfaitement la vie, avec ses feuilles peintes, était-il en fer ? Parce qu’il devait être assez solide pour résister à toutes les attaques du « patient » que l’on enfermait dans la chambre des supplices. Nous verrons comment, par deux fois, le décor ainsi obtenu se transformait instantanément en deux autres décors successifs, grâce à la rotation automatique des tambours qui se trouvaient dans les coins et qui avaient été divisés par tiers, épousant les angles des glaces et supportant cha-