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LE FANTÔME DE L’OPÉRA

tration, se retrouve dans la lumière du « plateau ».

Il s’arrête, son cœur bat à se rompre dans sa poitrine haletante : si on avait retrouvé Christine Daaé ? Voici un groupe : il interroge :

« Pardon, messieurs, vous n’avez pas vu Christine Daaé ? »

Et l’on rit.

À la même minute, le plateau gronde d’une rumeur nouvelle, et, dans une foule d’habits noirs qui l’entourent de force mouvements de bras explicatifs, apparaît un homme qui, lui, semble fort calme et montre une mine aimable, toute rose et toute joufflue, encadrée de cheveux frisés, éclairée par deux yeux bleus d’une sérénité merveilleuse. L’administrateur Mercier désigne le nouvel arrivant au vicomte de Chagny en lui disant :

« Voici l’homme, monsieur, à qui il faudra désormais poser votre question. Je vous présente monsieur le commissaire de police Mifroid.

— Ah ! monsieur le vicomte de Chagny ! Enchanté de vous voir, monsieur, fait le commissaire. Si vous voulez prendre la peine de me suivre… Et maintenant où sont les directeurs ?… où sont les directeurs ?… »

Comme l’administrateur se tait, le secrétaire Rémy prend sur lui d’apprendre à M. le commissaire que MM. les directeurs sont enfermés dans leur bureau et qu’ils ne connaissent encore rien de l’événement.

« Est-il possible !… Allons à leur bureau ! »

Et M. Mifroid, suivi d’un cortège toujours grossissant, se dirige vers l’administration. Mercier profite de la cohue pour glisser une clef dans la main de Gabriel :

« Tout cela tourne mal, lui murmure-t-il… Va donc donner de l’air à la mère Giry… »

Et Gabriel s’éloigne.

Bientôt on est arrivé devant la porte directoriale. C’est en vain que Mercier fait entendre ses objurgations, la porte ne s’ouvre pas.

« Ouvrez au nom de la loi ! » commande la voix claire et un peu inquiète de M. Mifroid.

Enfin la porte s’ouvre. On se précipite dans les bureaux, sur les pas du commissaire.

Raoul est le dernier à entrer. Comme il se dispose à suivre le groupe dans l’appartement, une main se pose sur son épaule et il entend ces mots prononcés à son oreille :

« Les secrets d’Erik ne regardent personne ! »

Il se retourne en étouffant un cri. La main qui s’était posée sur son épaule est maintenant sur les lèvres d’un personnage au teint d’ébène, aux yeux de jade et coiffé d’un bonnet d’astrakan…

Le Persan !

L’inconnu prolonge le geste qui recommande la discrétion, et dans le moment que le vicomte, stupéfait, va lui demander la raison de sa mystérieuse intervention, il salue et disparaît.


IV

révélations étonnantes de mme giry, relatives à ses relations personnelles avec le fantôme de l’opéra.


Avant de suivre M. le commissaire de police Mifroid chez MM. les directeurs, le lecteur me permettra de l’entretenir de certains événements extraordinaires qui venaient de se dérouler dans ce bureau où le secrétaire Rémy et l’administrateur Mercier avaient en vain tenté de pénétrer, et où MM. Richard et Moncharmin s’étaient si hermétiquement enfermés dans un dessein que le lecteur ignore encore, mais qu’il est de mon devoir historique, — je veux dire de mon devoir d’historien, — de ne point lui céler plus longtemps.

J’ai eu l’occasion de dire combien l’humeur de MM. les directeurs s’était désagréablement modifiée depuis quelque temps, et j’ai fait entendre que cette transformation n’avait pas dû avoir pour unique cause la chute du lustre dans les conditions que l’on sait.

Apprenons donc au lecteur, — malgré tout le désir qu’auraient MM. les directeurs qu’un tel événement restât à jamais caché — que le Fantôme était arrivé à toucher tranquillement ses