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voilà ! Au lieu de me servir d’un verre pour enveloppe, j’ai pris un tube de quartz, ce qui m’a donné une production folle de rayons ultra-violets ! Et alors ! et alors, je l’ai enfermé, ce tube qui contenait du mercure, dans une petite lanterne sourde, possédant une petite bobine mue par un petit accumulateur !… Et alors, et alors ! La force mortelle de ces rayons sur l’œil est incomparable… Un rayon, un seul, de ma lanterne sourde que je fais agir comme je veux, grâce à un diaphragme qui me permet d’intercepter la lumière à volonté — un rayon, un seul, suffit. La rétine reçoit un coup terrible qui amène la mort instantanément par traumatisme… C’est simple ! par traumatisme ! mais il fallait le trouver… Il fallait songer à la possibilité de cette mort par inhibition, c’est-à-dire par le brusque arrêt du cœur telle cette mort également par inhibition, — phénomène, Messieurs, découvert par moi d’abord, par Brown-Séquard ensuite, — telle cette mort, dis-je, par inhibition qui survient, par exemple, à la suite d’un coup porté par le revers de la main sur le larynx !… Voilà ! Voilà ! Ah ! j’étais fier, bien fier de ma petite lanterne sourde !… Mais il me l’a prise et je ne l’ai plus jamais revue… Non, jamais ! Ah ! c’est une terrible petite lanterne qui tue les gens comme des mouches !… Aussi vrai que je suis le professeur Dédé.

Les deux auditeurs du professeur Dédé recommandèrent in petto leur âme à Dieu, car décidément, avec les chiens et la petite lanterne sourde, c’était bien le diable si maintenant ils en réchappaient. Mais le professeur Dédé n’avait encore rien dit de la deuxième invention qui, paraît-il, lui avait donné plus de joie que toutes celles qui l’avaient précédée. Il n’avait encore rien dit de ce qu’il appelait son cher petit perce-oreilles… Cette lacune fut comblée en quelques phrases et l’épouvante fut accomplie… La hideuse horreur de la mort prochaine et sûre sembla glacer pour toujours M. le secrétaire perpétuel et le marchand de tableaux académicien.

— Tout cela ! Tout cela ! proclama donc le professeur Dédé, « c’est de la crotte de bique » à côté de mon cher petit perce-oreilles. C’est une petite boîte qui n’est pas plus haute que ça !… Elle peut se fourrer partout !… dans un accordéon, si on est malin et que l’on sache s’y prendre… dans un orgue de Barbarie… dans tout ce qui chante… et dans tout ce qui fait une fausse note.

Le professeur Dédé leva l’index encore.

— Qu’y a-t-il, Monsieur, de plus désagréable pour une oreille tant soit peu musicienne, qu’une fausse note ? Je vous le demande, mais ne me répondez pas ! Il n’y a rien ! rien ! rien ! Avec mon cher petit « perce-oreilles », grâce au plus heureux dispositif électrique émettant des ondes nouvelles beaucoup plus rapides et plus pénétrantes, — oui, Monsieur, ma parole ! — que les ondes hertziennes — avec, dis-je, mon cher petit perce-oreilles, je vrille la fausse note dans les méninges, je fais subir au cerveau qui s’attend normalement à une note normale un choc tel que l’auditeur tombe mort, frappé comme d’un coup de couteau ondulatoire si j’ose dire, au moment même où l’onde armée de la fausse note pénètre furtive et rapide dans le limaçon. Ah ! vrai ! qu’est-ce que vous dites de ça ?… Hein ?… vous ne dites rien de ça !… Non ! rien du tout !… moi non plus ! Il n’y a rien à dire… Tout cela tue les gens comme des mouches !… Ah ! c’est au fond bien ennuyeux… car je resterai ici toute ma vie n’ayant vu passer que des gens qui seraient venus me délivrer, s’ils n’étaient pas morts… Mais, à leur place, je sais bien ce que je ferais dans une aussi grave circonstance…

— Quoi ?… Quoi ?… râlèrent les deux malheureux.

— Je porterais des lunettes bleues et je me mettrais du coton dans les oreilles.

— Oui ! oui ! oui ! des lunettes bleues et du coton !… répétèrent les deux hommes… et ils tendaient les mains comme des mendiants.

— Je n’en ai pas sur moi !… fit gravement le professeur Dédé… et tout à coup il s’écria :

— Attention ! Attention ! Écoutez ! des pas !… C’est peut-être lui, la petite terrible lanterne sourde d’une main, et le cher petit perce-oreilles de l’autre… Ah ! Ah !… Pas un sou !… je ne donnerais pas un sou de votre existence terrestre à tous les deux, ma parole !… Non !… Non !… C’est encore un coup raté !… une délivrance ratée !… Vous ferez comme les autres !… Vous ne reviendrez jamais !… jamais !…

En effet, des pas descendaient… On marchait maintenant juste au-dessus de leurs têtes.

Les pas allaient vers la trappe…

Patard et Lalouette s’étaient relevés, avaient fui vers la porte du petit escalier, redressés par une suprême énergie, une dernière volonté de vivre. La voix de l’autre