Page:Leroux - La maison des juges.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54

est prêt à devenir le dernier des lâches, en oubliant tout dans un baiser et passer dans la maison avec une figure impassible de juge… de juge honnête, sans peur, sans grâce et sans faiblesse pour les siens, pour lui-même, comme pour les autres !… Tenez, mon père, il y a eu des jours où je souffrais tant…

Béatrice. — Je ne vous crois pas…

Jean. — Vous ne croyez pas que je souffrais, Béatrice, vous ne croyez pas que je vous aime encore ?…

Béatrice. — Vous dites que vous m’aimez !… Mais si vous m’aviez aimée, vous auriez senti que je n’étais pas coupable !… J’ai trop attendu un mot de vous… un pauvre soupir… avec une patience inlassable… Non, vous ne m’aimez pas ! J’aurais deviné que vous pleuriez sur moi… et nos larmes auraient bien fini par se rencontrer…

Jean. — Des nuits entières, j’ai pleuré à votre porte !…

Béatrice. — À ma porte !…

Jean. — Oui, j’ai souffert, là, pendant des heures incomparables…

Béatrice. — Pourquoi me dites-vous tout cela aujourd’hui ? Je n’ai nul besoin de le savoir… Et puis, je ne vous crois pas… car ce serait trop absurde. Un amour pareil m’épouvanterait plus que votre haine… À ma porte ! Des nuits entières à ma porte !…

Jean. — J’y étais cette nuit encore !

Béatrice. — Cette nuit !

Jean. — L’épouvantable nuit ! Mais il faut que je vous dise cela, Béatrice, et à toi aussi, Marie-Louis, c’est nécessaire. Il faut que mon cœur se décharge de tout cela qui l’étouffe… Oui, oui, c’est trop lourd à porter.

Béatrice et Marie-Louis. — Quoi ? Quoi ?

Le Président. — Parle, mon enfant !

Jean. — N’est-ce pas, mon père, c’est bien votre avis, il faut que je parle… Quand j’aurai parlé, quand j’aurai dit la chose tout haut, j’en serai débarrassé… Ah ! vous ne savez pas jusqu’à quel point je vous aime, Béatrice… jusqu’à être jaloux !

Il regarde Marie-Louis.

Béatrice. — Jaloux !

Marie-Louis, se levant sous le regard de son frère. — De qui ?

Jean. — De toi !