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TAMARA.

Laisse-moi, esprit perfide ! tais-toi, je ne crois point aux discours d’un ennemi. Mon Dieu ! hélas, je ne puis plus vous prier ! Un poison funeste s’empare de mon esprit affaibli. Écoute ! tu me perdras, tes paroles c’est du feu, c’est un philtre empoisonné… Dis ? pourquoi m’aimes-tu ?

LE DÉMON.

Pourquoi ma belle ? hélas ! je ne sais ; plein d’une vie nouvelle, j’ai fièrement arraché de ma tête criminelle ma couronne d’infamie, et j’ai jeté tout le passé dans la poussière. Mon paradis et mon enfer sont dans tes yeux ! Je t’aime d’un amour qui n’a rien de terrestre et comme tu ne pourrais aimer toi-même. Je t’aime avec tout l’enivrement et la puissance de la pensée et du rêve immortels. Dès le commencement du monde ton image fut gravée dans mon âme ; elle se montrait à moi dans les immensités désertes de l’espace. Depuis longtemps ton nom agitait mon esprit et résonnait doucement en moi. Aux jours heureux du paradis, toi seule me manquait. Oh ! si tu pouvais comprendre ce qu’il y a d’amère douleur dans une vie sans fin