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tîmes. En un clin d’œil nous traversâmes au galop la forteresse, le petit village et nous entrâmes dans le défilé au milieu duquel un sentier serpente parmi les grandes herbes, coupé à chaque instant par des ruisseaux bruyants qu’il fallait passer à gué, au grand désespoir du docteur ; car son cheval s’arrêtait chaque fois dans l’eau.

Je ne me souviens pas d’un matin plus bleu et plus frais. Le soleil se montrait à peine au-dessus des sommets verdoyants et le mélange de la chaleur de ses premiers feux à la fraîcheur mourante de la nuit répandait dans tous mes sens une suave langueur. La gaîté lumineuse du jour nouveau n’avait pas encore pénétré au fond du défilé ; il dorait à peine les pointes des rochers qui se tordaient de tous côtés sur nos têtes. Les arbustes qui s’échappaient de toutes les fissures du roc, agités par la brise du matin, nous arrosaient des gouttelettes argentées de la rosée nocturne. Je me souviens qu’en ce moment j’aimai la nature plus que je ne l’avais aimée jusqu’alors. J’observais avec curiosité chaque goutte de rosée, tremblant sur une large feuille de vigne, réfléchissant mille rayons divergents. Avec quelle avidité mon regard tâchait de plonger dans les