Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un l’autre. Alors nous regardant profondément dans les yeux, comme le faisaient les augures romains, selon le mot de Cicéron, nous nous mîmes à rire, et las de rire, nous nous séparâmes satisfaits de notre soirée.

J’étais couché sur un divan, les yeux au plafond et les mains sous ma tête lorsque Verner est entré dans ma chambre. Il s’est assis dans un fauteuil, a posé sa canne dans un coin et en bâillant m’a dit que dehors il faisait chaud ; je lui ai répondu que les mouches m’agaçaient et nous nous sommes tus tous les deux.

— Remarquez, cher docteur, que sans les sots, le monde serait bien ennuyeux… En effet, nous sommes là deux hommes intelligents, nous savons que nous pourrions nous mettre à discuter sans fin et à cause de cela nous ne discutons pas. Nous connaissons presque toutes nos pensées les plus secrètes ; un seul mot est toute une histoire pour nous, nous voyons le germe de chacun de nos sentiments à travers une triple enveloppe. Ce qui est triste nous paraît ridicule, et ce qui est ridicule nous paraît triste, et pour dire la vérité nous sommes en général assez indifférents pour tout, excepté pour nous-mêmes.